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Avril 2008
Il faudrait 12 planètes en 2050 !
Auteur : Anne-Catherine Menétrey-Savary

Lorsque je m’occupais de prévention des toxicomanies auprès des adolescents, je leur proposais un petit exercice de réflexion sur le «toujours plus» qui fonde notre société de consommation, en les invitant à se représenter des parcours typiques: «j’ai d’abord eu un tricycle, puis une trottinette, puis un vélo, puis un scooter; et demain j’aurai… une moto, puis une petite voiture, puis un 4X4…», etc. «J’ai d’abord partagé ma chambre avec mon frère, puis j’ai eu ma chambre à moi; bientôt j’aurai …un studio, puis un petit appartement, puis une villa…». Les trajectoires de vie sont-elles toujours ascendantes ? Est-ce toujours certain que «plus», c’est mieux ? Cette courbe pourrait-elle au contraire s’inverser ? De cette manière, nous en arrivions à parler de cette logique de la croissance, qui est une logique de toxicomanes.

Cette logique-là peut en effet déboucher sur la consommation compulsive, l’addiction ou l’aliénation du consommateur. Elle implique presque toujours le gaspillage et l’obsolescence des biens de consommation; elle épuise les ressources naturelles et elle engendre des pollutions qui détruisent l’environnement. Un désastre total ! On peut le dire en chiffre: selon certains indicateurs, la biodiversité a diminué dans le monde de 40% depuis 1970, et la consommation mondiale de ressources naturelles dépasse de 20% la capacité régénératrice de la biosphère. Entre 1961 et 2001, l’empreinte écologique ou la charge sur l’environnement de notre économie a augmenté de 160% alors que la population ne faisait que doubler. A ce rythme, il nous faudrait pouvoir disposer de 12 planètes vers 2050 ! L’exemple le plus parlant de ce marché fou, en roue libre, est probablement celui de l’électronique de loisir, et particulièrement celui des téléphones portables. Durée de vie: six mois en moyenne; prix de vente totalement faussé par les opérateurs, qui les bradent pour un franc; élimination particulièrement problématique, coûteuse et dangereuse pour la santé des personnes qui s’en occupent, dans les pays d’Asie où l’on expédie encore ces déchets.

Autant dire que dans les milieux écologistes, la croissance économique a mauvaise presse ! Mais s’il est de bon ton de la rejeter, en la rendant responsable de la destruction de notre environnement, il n’est pas bien vu d’aller jusqu’à prôner la décroissance. Assez de citoyens nous accusent déjà de vouloir les contraindre à s’éclairer à la chandelle et à se déplacer en diligence pour que nous nous abstenions d’en rajouter sur ce registre-là ! De manière générale, d’ailleurs, il est périlleux de vouloir motiver les foules en leur vendant du renoncement et du «moins» plutôt que du «plus», de la richesse, du confort et toutes sortes de facilités.

Les Verts sont aussi confrontés à un conflit de valeurs en voulant promouvoir à la fois la préservation de la planète et la justice sociale. Nous qui avons tout, dans nos pays développés, pouvons-nous rester insensibles à l’aspiration des populations du sud à jouir des mêmes avantages ? D’une manière ou d’une autre, nous sommes aussi les héritiers d’une histoire, celle des luttes ouvrières, des congés payés et de l’amélioration du niveau de vie des classes populaires. Faut-il vraiment dénoncer ceux qui veulent un peu de soleil en hiver en s’offrant un voyage aux Maldives parce que c’est mauvais pour le climat, alors que ça fait si longtemps que les riches se réservent ces plages de rêve ? Force est toutefois de constater que l’argument massue des milieux économiques pour justifier l’impératif de la croissance à tout prix, selon lequel avant de distribuer la richesse il faut d’abord la produire, et que plus le gâteau est gros mieux on peut le partager, s’avère non fondé. L’écart entre les riches et les pauvres ne fait que s’accroître.

C’est la raison pour laquelle les écologistes cherchent une alternative, une autre conception de la richesse, une autre définition du développement durable. Certains s’en sortent en parlant de croissance qualitative. Ceux-là s’inspirent des conclusions du club de Rome en 1970, qui a proposé de remplacer l’indice traditionnel du produit intérieur brut (PIB) par l’indice de développement humain (IDH), repris ensuite par le Programme des Nations Unies pour la développement (PNUD). Ce changement de paradigme pose la question essentielle de savoir ce qui, quand on parle de croissance, peut croître. La réponse est double: ce sont d’une part les investissements (plutôt que les dividendes des actionnaires), et d’autre part le bien-être, mesuré en termes d’éducation, de santé, de culture.

Investir dans des technologies nouvelles, plus économes et plus respectueuses de l’environnement, plutôt que de chercher le profit à court terme, c’est rendre possible un progrès conforme aux principes du développement durable. L’ordinateur à 100 $, par exemple, alimenté par des batteries solaires et branché sur internet, peut contribuer à la formation des populations non scolarisées (ou scolarisées, d’ailleurs) dans les pays en développement. Mais ces perfectionnements techniques ne seront jamais LA solution. Mettre du bio-ethanol dans son 4X4 et rouler avec bonne conscience n’est pas la bonne idée du développement durable ! Investir dans l’innovation technique peut grandement contribuer à améliorer l’efficience énergétique et l’usage modéré des ressources naturelles. Mais pour combler le déséquilibre de notre empreinte écologique il faudra bel et bien renoncer é vivre comme si nous avions 12 planètes à disposition. Faut-il appeler cela de la décroissance ? En tout cas, c’est apprendre à faire mieux avec moins !

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