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La plus longue civilisation humaine, celle qui a produit les magnifiques peintures paléolithiques, a vécu quarante mille ans en équilibre avec la Nature. Au Néolithique les hommes ont commencé à s’imaginer en dehors, ou au-dessus de la Nature; ils ont alors construit des sociétés en croissance continue jusqu’à l’effondrement, parce qu’ils ont été incapables de modérer leurs appétits avant que la Nature ne se retourne contre eux. Loin de tirer les leçons de la fin des sociétés de l’île de Pâques, des Mayas, d’Angkor, de Rome et de bien d’autres, la civilisation industrielle occidentale a amplifié le phénomène en contaminant la planète entière. L’alliance des sciences, des techniques et d’une philosophie positiviste qui considère l’homme comme maître d’un monde à son entière disposition nous a conduits à conquérir tous les espaces disponibles, d’en chasser les habitants qui y vivaient en harmonie avec la Nature et d’y installer un système d’exploitation illimitée des ressources naturelles et parfois des humains. Et cela se passe encore sous nos yeux: Penans du Sarawak, Pygmées du bassin du Congo, Surui en Amazonie et bien d’autres subissent la pression extrême de la conquête des derniers espaces sauvages qu’ils ont habités en paix depuis des millénaires.
Les conséquences de notre civilisation déraisonnable se font sentir de plus en plus clairement 1 : les consommations de l’humanité dépassent aujourd’hui de 50% la capacité productive de la planète (empreinte écologique), la biodiversité a reculé de 50% en cinquante ans (indice planète vivante) et les pollutions stérilisent des surfaces grandissantes; ces phénomènes dûment observés diminuent encore la capacité productive de la Terre alors que les consommations d’une population croissante et d’une économie toujours plus vorace augmentent. Les inégalités s’accentuent et, contrairement à une opinion largement répandue, il n’y a jamais eu autant de miséreux sur Terre qu’actuellement. Le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) relève dans son rapport 2014 que 1,2 milliard de personnes vivent avec moins de 1,25 dollar par jour. Si l'on augmente le seuil à 2,50 $ par jour, le taux de pauvreté mondial passe à 2,7 milliards de personnes. Nous constatons ainsi qu’environ un tiers de la population humaine vit dans une intolérable pauvreté: cela fait autant de pauvres que toute l’humanité qui vivait en 1940 (2,3 milliards d’habitants sur terre): où est le progrès? Aucun système ne peut survivre longtemps dans un tel déséquilibre et avec de telles injustices.
Nous sommes piégés dans le système que nous avons mis en place, car l’endettement des privés et des Etats, le financement des assurances sociales, l’emploi et les mécanismes économiques reposent sur l’a priori d’une croissance matérielle continue. Dans nos sociétés occidentales industrialisées la consommation n’a plus seulement pour but de couvrir des besoins matériels et culturels, mais elle est devenue un but en soi, pour faire fonctionner le système économique et pour répondre à des formes de dépendances consuméristes dont les mécanismes rappellent les addictions aux drogues, à l’alcool ou à la violence. Nos consommations matérielles croissantes, dans un contexte d’expansion démographique et de contraction de nos ressources naturelles, annoncent des points de rupture qui entraîneront des souffrances immenses pour de larges parts de la population humaine. Il est peu probable que nous puissions sortir de ce cercle vicieux en conservant les mêmes paradigmes technoscientifiques qui nous ont menés là où nous sommes. L’espoir d’une science et de techniques qui nous libéreraient des limites que nous impose la Nature est une illusion. Il nous faut plutôt repenser les valeurs qui sous-tendent notre civilisation et puiser dans les sagesses du monde des valeurs universelles qui rétablissent notre rôle de gardiens de la Nature, conscients de faire partie de la grande fraternité du vivant. Le sentiment d’être membres de cette grande famille nous libèrera de nos peurs, de nos frustrations, de nos besoins de se comparer, de dépasser ou de dominer les autres.
Rétablir la paix avec le monde humain et naturel commence par soi-même. C’est en cultivant au fond de soi la paix et la satisfaction d’être en vie dans un monde enchanté, que notre folle course à l’avoir se transforme en une profonde satisfaction existentielle, une envie de vivre pleinement et de partager cette plénitude avec tout ce qui nous entoure, dans la joie, l’humilité et la gratitude. Concrètement nous pouvons faire tous les jours des choix, même modestes, dans le sens d’une vie plus authentique, plus respectueuse de soi-même, des autres et de la Nature. C’est alors que notre vie se détend et s’épanouit et que, très vite, nous commençons à recevoir la lumière des autres et du monde, dans un sentiment de plénitude. Nous n’en devenons pas pour autant béats et naïfs, mais notre force de changement s’exerce avec davantage de douceur et d’efficacité. Cela nous permet de nous engager efficacement et concrètement en prenant position contre les projets qui visent à prolonger le système délétère dans lequel nous nous sommes piégés. Dans le domaine du commerce, de l’agriculture il faut revenir à des entités plus petites, plus locales sur lesquelles producteurs et consommateurs ont une prise immédiate. A l’école et dans la communauté il faut enseigner le respect, l’empathie, la collaboration et sortir du climat de compétition qui a pris possession du système de formation. Commencez à poser un regard apaisé et bienveillant sur vous-mêmes puis sur les autres et sur le monde, et vous serez étonné à quel point tout change autour de vous; vous devenez alors les artisans d’un monde nouveau.
Philippe Roch