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Avril 2013
Les médias et le pouvoir
Auteur : Pierre Lehmann

Medias: info ou intox? Très certainement les deux, simplement du fait que la plupart des médias sont dépendants d'un financement qui peut venir de l'Etat, de la publicité, d'un parti politique ou d'une entreprise. Ces médias sont alors sujets à des pressions. Il y a quelques années, le quotidien socialiste zurichois Tagesanzeiger s'était vu retirer la publicité des importateurs de voitures parce qu'un article avait déplu à ces derniers. Et il y a sûrement eu d'autres cas similaires.

Les journaux ne peuvent pas être vraiment indépendants s'ils sont tributaires de la publicité. Et les journaux qui n'en ont pas sont rares. Il y a bien sûr l’essor, mais aussi l'hebdomadaire français à grand tirage Le Canard Enchaîné. Cependant, la plupart des journaux à fort tirage vivent au moins en partie de la publicité, l'argument étant qu'ils ont besoin de fonds pour payer leurs journalistes. Les journalistes du Canard Enchaîné sont pourtant payés correctement. Ils ne se privent pas de critiquer le pouvoir, qu'il soit de gauche ou de droite, ce qui ne les empêche pas de reconnaître la valeur d'un homme d'État quand il y a lieu. Je me souviens que la mort de Pierre Mendès-France leur avait fait de la peine.

On veut s’informer vite, au lieu de s’informer bien. La vérité n’y gagne pas. […] Une chose au moins est évidente, l’information telle qu’elle est fournie aujourd’hui aux journaux, et telle que ceux-ci l’utilisent, ne peut se passer d’un commentaire critique.
— Albert Camus

Même en démocratie le pouvoir a besoin de relais pour s'imposer, d'où son intérêt pour les médias. Banques et entreprises sont aussi bien présentes dans les bulletins d'information de la radio ou de la télévision. On nous annonce régulièrement les bénéfices ou les pertes de telle ou telle compagnie, comme si cela pouvait avoir une importance pour le commun des mortels. Cela montre que ces médias ont intériorisé le mythe de la prospérité par l'expansion économique. Le message à faire passer est «si la finance va, tout va», un peu comme cet autre dicton stupide «si le bâtiment va, tout va» qu'on entend heureusement un peu moins aujourd'hui.

Il est aussi vain de reprocher aux spécialistes de l’information leur démagogie, leur autocensure, leur veulerie, leur avilissement et leur insolente complaisance aux aboiements du maître, que de prêcher l’honnêteté à un homme d’affaires.
— Raoul Vaneigem

La liaison entre pouvoir et médias a été particulièrement bien illustrée en Italie. M. Berlusconi a commencé par acheter une partie importante des médias pour ensuite se faire élire sans difficulté chef du gouvernement. M. Berlusconi n'impressionne pourtant pas par la sagesse de ses propos, mais il représente «la réussite», laquelle implique aujourd'hui d'avoir fait fortune, peu importe par quel moyen. L'électeur qui vote Berlusconi s'imagine probablement qu'en élisant quelqu'un qui a su s'enrichir, il va en quelque sorte pouvoir en profiter aussi, ce qui est évidemment illusoire. M. Berlusconi a fait fortune pour lui- même, pas pour son pays. En France aussi, les millionnaires Hersant et Tapie sont liés aux médias. Si les médias sont convoités par des gens ou des groupes fortunés, cela n'est pas pour soutenir les déshérités, mais plutôt pour gagner de l'influence. Il n'est donc pas toujours facile de séparer l'info de l'intox.

Pendant longtemps les Israéliens ont été présentés comme étant menacés de disparition et d'être jetés à la mer par de méchants Arabes. La guerre des Six Jours a finalement montré que c'était l'inverse. L'intox est très généralement le fait de ceux qui tiennent le couteau par le manche. Les Palestiniens n'ont guère d'influence sur les médias, même s'ils sont heureusement soutenus par des groupes de personnes révoltés par l'injustice qui leur est faite.

L’individu est aujourd’hui capable d’opérer sur des informations reçues un traitement idéologique dont les effets sont assurés. La science se contente finalement de fournir la phraséologie, les idées et les thèmes.
— Alexandre Zenoviev

Bien que la croissance économique ait déjà été beaucoup trop loin, la plupart des médias continuent à en faire la promotion. Il est bien rare que radio et TV donnent la parole à ceux qui militent pour la décroissance et en France c'est même le président de la République qui prône la croissance économique comme voie vers la prospérité. La promotion de la croissance économique est aujourd'hui l'intox la plus dangereuse à laquelle sont soumis les citoyens. Faudra-t-il attendre la fin du pétrole ou la destruction de biotopes indispensables à la survie de l'humanité pour que les pouvoirs économiques et politiques comprennent enfin qu'il y a une limite à ce que l'homme peut faire sur cette planète?

Une autre intox consiste à nous faire croire que l'homme étant malin et ingénieux, il finira toujours par trouver, grâce à la science, le moyen de remédier aux difficultés qu'il crée. C'est oublier que la vie échappe complètement à la compréhension humaine. Il n'y a pas de «science du vivant» contrairement à ce que l'on prétend dans nos universités. Le postulat d'objectivité de la nature, fondement de la science actuelle, ne s'applique pas à la vie. Il est grand temps de le réaliser.

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