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Août 2011
Non au gaspillage d'énergie… vitale
Auteur : François Iselin

En Suisse «Pendant plus de dix ans, le nombre de nouvelles rentes d'invalidité n'a cessé de gonfler […]. Motif principal: l'augmentation fulgurante des maladies psychiques, que les experts mettent sur le compte des profondes mutations qui frappent la société et le monde du travail»1.

Ces «profondes mutations» sont sans conteste causées par l'emprise du marché capitaliste néolibéraliste sur la population laborieuse et ceci dans tous ses domaines d'activité: production, communication et consommation.

Production: travailler comme des fous

La nature ne peut vivre sans énergie solaire ni l'être humain sans énergie vitale. Elle nous permet de vivre et de faire vivre autrui. C'est pourquoi les tenants du productivisme se sont emparés de cette énergie qualifiée de «ressource humaine» pour l'exploiter à leur avantage en profits et puissance. Bon gré mal gré, les exploités s'y soumettent: la vente de leur «force de travail» leur procure de quoi vivre et procréer.

Mais l'offensive néolibérale a dégradé considérablement les relations entre capital et travail. Au temps de travail salarié succède le travail non rémunéré, plus long encore2. Cette seconde journée de labeur bénévole est consacrée aux déplacements, achats, recherches, loisirs, sports, vacances… Vacances car, en France par exemple, «56% des salariés travaillent pendant leurs vacances»3. En Europe ce taux atteindrait 68%4. Et «A travers le monde […] en moyenne deux tiers des employés restent à la disposition de leur employeur ou de leurs clients pendant les vacances»5. Entre ces «congés non payés» «90% des Français travaillent pendant leur temps libre»6. Que son addiction soit active ou passive, le travail est devenu une défonce qui dévore autant le temps de vie que l'aptitude à en jouir en créant.

Communication: l'esprit tenu en alerte permanente

Les tâches imposées d'écoute des «portables», de consultation des «mails», de recherches sur le «web», devenues obligatoires, accroissent la pénibilité du travail et réduisent les rares temps de loisirs et de repos. En France «94% des jeunes de 15 à 17 ans possèdent un téléphone mobile»7 et, en 2005, «une entreprise a essayé de commercialiser un portable pour enfants de 4 à 8 ans»8. Sans même parler des coûts écologiques et énergétiques9, les frais de communication sont élevés et «plus un ménage est pauvre, plus la part des dépenses de téléphonie est élevée»9.

La généralisation du «portable» a généré non seulement d'énormes profits, mais a permis au patronat d'accroître à tout moment le contrôle des salariés, où qu'ils se trouvent. Ils sont contraints de répondre aux ordres y compris chez eux, lors des repas, au volant… Quant aux risques pour la santé, aucune mesure de précaution n'est prise alors que les soupçons s'apparentent déjà à ceux de l'amiante et du tabac8.

Consommation: astreinte à acheter et jeter à plein temps

L'énergie vitale dilapidée lors de la production l'est plus encore par la consommation. C'est qu'il ne suffit plus au Capital de remplir ses coffres en faisant produire: les salariés doivent consommer ce qu'ils produisent, que cela leur soit inutile, superflu ou nuisible.

La division entre temps de travail et temps de repos n'a plus cours. La disponibilité des gens doit être permanente, quels que soient leur âge, leur sexe ou leurs revenus. Leur temps de loisir est dévoré par ce qu'étaient les «tâches ménagères». Maintenant, tous les membres de la famille doivent s'y mettre et elles sont pour la plupart exercées hors du domicile: achats à faire quotidiennement, enfants à conduire à la garderie, rebuts à jeter à la déchetterie, consultation de la toile, courriels, SMS, courrier, publicités; s'adonner au jogging, bike, fitness et autres attrape gogos, pour rester «performant» et enrichir les marchands de santé… La voiture est donc devenue indispensable pour le consommateur qui doit accéder aux lieux de dépense et s'y rendre le plus souvent possible, quels que soient l'argent et le temps perdu en déplacements.

Les rabatteurs de ces «consommateurs piégés»10, victimes de cette «Persuasion clandestine»11 qu'est la publicité, s'acharnent à multiplier leurs appâts: publicités trompeuses, centres commerciaux, ouvertures prolongées, parkings à disposition avec pompes à essence, garderies commerciales… Mais cela ne suffit pas et excite la bougeotte effrénée, la lubie de sortir de chez soi en forçant la demande potentielle d'acquisitions, de consommations et de déplacements le plus lointains possibles. Pour ce faire, les fabricants réduisent la durée utile des produits en en programmant les pannes irréparables12. Mais plus sournoisement encore, en insinuant aux acquéreurs de produits qu'ils jugent «trop vieux» de l'imminence de leur détraquement et en les incitant à se payer du New, Fan, Smart, Bio… Les services après-vente se chargent de donner le coup de grâce aux acheteurs bernés en leur réclamant une garantie perdue ou un numéro de fabrication illisible, pour leur annoncer enfin que la pièce de rechange ne se faisait plus ou de tenter sa chance à l'autre bout de la ville ou par Internet.

Économisez l'énergie, clame-t-on, mais l'économie productiviste, elle, continue à gaspiller autant les ressources de la terre que celle des hommes. Or, c'est de cette énergie-là qu'il faudra pour sortir du cercle vicieux de la production destructive. Comment prévoir alors, lorsqu'il est encore temps, les effets tragiques du gaspillage, si les facultés inventives des humains et le temps leur permettant de les exploiter sont eux-mêmes gaspillés?


NOTES:

1 Andrea Tognina, «L'AI touchée de plein fouet par les cas psychiques», Swissinfo.ch, 15.5.2007.
2 «Les consommateurs au labeur», Le Monde diplomatique de juin 2011.
3 «56% des salariés travaillent pendant leurs vacances», L'express, 13.7.2011.
4 «7 Français sur 10 travaillent pendant les vacances», Le journal du net, 20.07.2009.
5 «La majorité des employés suisses travaillent pendant leurs vacances». Admin.ch, 30.7.2008.
6 «90% des Français travaillent pendant leur temps libre», Le Monde, 29 juin 2011.
7 «Faut-il interdire les téléphones portables dans les écoles?». Droit & technologies, 14.6.2006.
8 Janine Le Calvez, «Le téléphone mobile nuit-il à la santé?», Le Monde, 19.9.2006. Avant qu'une hécatombe ne confirme leur nocivité, «il faudra qu'un jour on ait sur nos téléphones portables, comme sur les paquets de cigarettes: «attention, téléphoner peut tuer».
9 Wikipédia. Rechercher sous «Téléphonie mobile». Les dommages écologiques des portables sont loin d'être pris en compte. «La consommation en énergie d'une heure de conversation téléphonique équivaut à celle d'un lave-linge à 40°C». Et «L'émission de CO2 des 3,5 milliards de téléphones portables en circulation dans le monde s'élève à 40 millions de tonnes, soit l'équivalent de 21,5 millions d'automobiles de petite cylindrée».
10 Jacques Neyrinck et Walter Hilgers, «Le consommateur piégé. Le dossier noir de la consommation», Ed. Vie ouvrière Bruxelles, 1973.
11 Vance Packard «La persuasion clandestine», Calmann-Lévy, 1958.
12 «Obsolescence programmée!», Le Courrier, 6.6.2011.

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