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Le fait de bénéficier du privilège d'une eau en abondance ne nous encourage pas à mesurer l'étendue des urgences qui s'annoncent. Pourtant, en tant que château d'eau de l'Europe, nous avons des responsabilités particulières. Celles-ci se sont invitées dans le débat général depuis une bonne vingtaine d'années avec une acuité réconfortante, même si la mise en application est encore laborieuse. Malgré tout, trop de responsables prennent l'eau – le lac, la mer, l'océan – pour une poubelle, attendant qu'elle se charge du sale boulot. Ayons une petite pensée pour les milliers de m3 d'eau de mer crachés depuis des semaines sur le cœur nucléaire de Fukushima avec un succès dont personne ne se vante.
Chaque citoyen sait aujourd'hui dans son for intérieur que l'eau est un bien précieux qui demande soin et parcimonie. Il n'empêche que le rêve de la piscine devant la villa continue d'être cultivé et concrétisé avec assiduité. Il en va de même avec la multiplication des spa et autres conforts aqueux, des terrains de football ou de golf arrosés en temps de restriction. Il est pourtant touchant d'observer les efforts de certains pour économiser chaque verre d'eau au détriment de leur quotidien, par souci pour les enfants africains démunis. Le lien n'est pas flagrant mais l'intention est si louable qu'on hésiterait presque à le rappeler.
Mais les besoins vont s'accentuer inexorablement, liés à l'augmentation de la population qu'il faut nourrir, ce qui représente 70% de la consommation d'eau. Les 30% restants se répartissent à parts égales entre les entreprises et l'usage quotidien des ménages. Il faut savoir que les industries en demandent toujours plus, sans faire systématiquement les efforts pour l'économiser et l'assainir. Certaines techniques agricoles mériteraient des adaptations, ainsi qu'une meilleure sensibilisation aux circuits de l'eau, principal véhicule de nos polluants médicamenteux et phytosanitaires.
D'autre part, l'ensemble des instances politiques se devrait d'être beaucoup plus vigilant sur les méthodes prédatrices de certaines multinationales qui n'hésitent pas à créer la pénurie pour imposer leurs bouteilles d'eau de qualité médiocre et d'un prix exorbitant pour la population. A cet égard, l'exemple d'une d'entre elles, bien connue chez nous par son comportement au Brésil, est révélateur de ses méthodes, prélèvements destructeurs, éloignement militarisé des populations locales, et illustre très bien l'arrogance de cette engeance irresponsable.
Sachant que seul le 2,5% de l'eau sur la planète est composé d'eau douce venant essentiellement des glaciers et des nappes phréatiques lourdement sollicitées, il n'est pas difficile de comprendre que son assainissement et la réduction de sa pollution méritent la plus large attention. Cela coûtera cher, c'est une évidence et pourtant on ne pourra en faire l'économie. Actuellement, il est fort inquiétant de voir ces maigres ressources se faire empoisonner par un laisser-aller trop généralisé. Même si l'accès à l'eau a fait de réels progrès, le stress hydrique qui touche déjà 40% de la population mondiale pourrait dépasser les 60% dans une quinzaine d'années.
Reste la technique de dessalement de l'eau de mer par filtration, intéressante comme eau potable mais trop chère pour l'irrigation. Cependant, son prix va aussi augmenter avec celui des membranes filtrantes et de l'énergie nécessaire.
Si l'essentiel des décisions doit se prendre au niveau politique et industriel, que reste-t-il au citoyen à faire, après avoir bu son litre et demi quotidien, renoncé à sa piscine personnelle, réduit ses bains et sa consommation de produits toxiques? Il importe de ne pas tomber dans les pièges de certains accessoires surfant sur la vague des économies. Le royaume des escroqueries fait florès dans le domaine, comme le coup des nouvelles chasses d'eau économiques qu'on est obligé de tirer deux fois plus souvent.
Maintenant, imaginer des toilettes sèches à tous les étages va devoir engager une belle galerie de solutions qu'on espère judicieuses…