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Août 2008
La maltraitance institutionnalisée
Auteur : Pierre Lehmann

La maltraitance est très généralement liée à la recherche d’un avantage au détriment d’autres personnes. Je ne parle pas ici de la maltraitance maladive liée au sadisme ou au plaisir de faire du tort à quelqu’un, maltraitance qui existe malheureusement aussi.

La maltraitance institutionnalisée est, à mon avis, la conséquence directe de la priorité absolue donnée à l’argent et au profit au détriment de la convivialité. Elle est donc une conséquence du système économique actuel. Pour illustrer ce propos, je peux donner un exemple personnel. Jusqu’à ma retraite j’avais un revenu, certes modeste, mais suffisant pour payer régulièrement mes impôts conformément aux exigences du percepteur. Il m’est même arrivé d’être légèrement en avance, ce qui m’a valu des «intérêts bonifiés», donc une sorte de rabais. Après la retraite mon revenu a fortement baissé et j’ai eu du retard dans les payements. Il s’en est suivi des charges supplémentaires dites «intérêts de retard», frais de rappel et autres pénalités, voire des menaces. En d’autres termes: si vous êtes à l’aise et à même de payer sans problème ce qu’on vous demande, on vous facilite encore la tâche en vous accordant des rabais; si vous êtes nécessiteux et avez des difficultés à payer, on vous rend la vie encore plus dure en augmentant vos charges, Cela dénote une philosophie: priorité absolue à l’argent, courbettes devant les gens aisés et maltraitance des citoyen au revenu modeste. On peut aussi voir là une sorte de «pompe à fric» qui consiste à transférer l’argent des pauvres vers les riches. Pourtant l’Etat devrait avoir pour fonction principale d’assurer une vie agréable à tous les citoyens, quels que soient leurs moyens financiers.

Ce type de maltraitance ne concerne pas que le fisc. Il est endémique dans le monde économique ou`seul compte le profit. Un cas particulièrement évident est celui de l’assurance maladie. Les assureurs exigent du citoyen de payer en avance des primes en augmentation permanente dont le montant est tout à fait indépendant de son revenu et sur lequel il ne peut avoir aucune influence. Dès que vous avez du retard dans les payements, vous êtes harcelé par des rappels, des commandements de payer, des menaces de poursuites, etc. Et on vous impose des charges supplémentaires ne correspondant à aucune prestation: frais de rappel exagérés, intérêts usuraires, etc. En d’autres termes, l’assureur se sert de vos difficultés pour augmenter son revenu. L’obligation de s’assurer a transformé l’assurance maladie en racket, tout à fait dans la logique du système économique qui repose toujours sur le primat de l’égoïsme cher à Adam Smith. Les assureurs et l’entreprise médicale ont besoin de la maladie pour vivre. Car la maladie rapporte alors que la santé ne coûte rien. Comme disait Ivan Illich: «L’entreprise médicale menace la santé». On maltraite le citoyen au nom de sa santé. Peut-on rêver d’une société conviviale dans laquelle la santé serait la priorité et les soins aux malades fournis gratuitement? Dans le monde économique actuel cela n’est guère pensable. Toute activité qui rapporte y est jugée acceptable. Vendre des boissons et de la nourriture néfastes pour la santé n’y est pas condamné puisqu’il y a du profit à la clef. Sans cela ni Coca-Cola ni Mac- Donalds n’existeraient.

Et il y a la maltraitance des animaux. On accepte moyennant quelques règles d’hygiène que porcs et volailles soient élevés dans des usines à viande dans lesquelles ces animaux sont complètement soustraits à leurs conditions normales d’existence. Cela fait baisser les prix et la qualité de la viande et génère des profits tout en provoquant d’énormes pollutions et en ruinant les petits paysans, Tout cela avec la bénédiction de l’Etat. Mais le pire est sans doute la vivisection qui consiste à torturer les animaux au nom de la santé des hommes. Cette pratique est non seulement moralement condamnable mais encore naïve. La santé des uns ne peut pas résulter de la souffrance des autres.

La maltraitance s’étend en fait aujourd’hui à toute nature que l’homme s’acharne à détruire au nom de la prospérité. Pour mettre fin à la maltraitance, le respect de la vie est une condition nécessaire et sans doute suffisante. La convivialité et l’amour devraient de substituer à la concurrence et à la compétition. Comme l’a relevé Albert Schweizer: «Ce que nous appelons amour est, dans son essence, le respect de la vie».

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