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Juin 2008
Effondrement, Jared Diamond
Lu par : Marion B.

Effondrement
Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie
Jared Diamond
Éd. Gallimard, 2006

Les problèmes écologiques qui se posent aujourd'hui mettent notre société en péril. Cette situation s'est déjà présentée par le passé !

Afin d'en tirer des enseignements qui pourraient nous être utiles aujourd'hui, l'auteur présente plusieurs cas de sociétés, anciennes ou actuelles, qui ont traversé une grave crise, résolue par leurs efforts, ou au contraire menant à leur disparition.

La première partie de l'ouvrage nous conte l'histoire des Mayas, des habitants de l'Ile de Pâques, des Vikings du Groenland, et d'autres encore, moins connues dans nos régions. Depuis leurs origines, leurs ressources, leurs outils, leurs méthodes d'agriculture et de construction, leur organisation sociale, l'auteur nous emmène dans un foisonnement de détails issus des recherches les plus récentes jusqu'à leurs problèmes, leur déclin, et parfois leur extinction, avec toutes les preuves de la brutalité et des souffrances traversées. C'est aussi l'histoire des archéologues, et de leur patient travail pour rassembler les éléments du puzzle et les mettre dans le bon ordre.

Les trois exemples de sociétés qui ont su résoudre leur crise sur le long terme sont les hautes terres de Nouvelle-Guinée, l'île de Tikopia (Pacifique) et le Japon. Tous les trois se sont trouvé confrontés à des problèmes écologiques: déforestation, érosion et perte de fertilité des sols. Dans les deux premiers cas, le territoire concerné était assez restreint pour que les habitants puissent rapidement prendre conscience des problèmes, avoir une vue d'ensemble de la situation, et être impliqués dans la recherche de solutions (gestion du problème par le bas). Dans le Japon des 17e et 18e siècles, par contre, c'est les shoguns qui ont imposé des règles drastiques pour reconstituer la forêt gravement endommagée (gestion du problème par le haut). Dans tous les cas, la population a également appliqué un sévère contrôle des naissances, imposé par le manque de ressources alimentaires.

Dans la deuxième partie de l'ouvrage, nous plongeons au coeur des grandes crises actuelles. Le génocide du Rwanda y est abordé, non sous l'angle ethnique, mais sous l'angle de la surpopulation et de la rareté des terres cultivables. La République dominicaine et Haïti mettent en lumière l'importance des relations avec l'extérieur, ainsi que les effets visibles de différentes politiques au niveau de la protection de l'environnement. La Chine est présentée comme un pays souffrant de nombreux problèmes de pollution et de raréfaction des ressources, mais par ailleurs prêt à prendre des mesures radicales, comme en ce qui concerne le contrôle des naissances. L'Australie nous amène à nous intéresser aux problèmes de pollution dus à l'exploitation minière, à la surpêche, à une agriculture subventionnée alors que les terres sont très pauvres, aux problèmes causés par l'introduction d'espèces non indigènes, ainsi qu'aux dérèglements locaux produits par le réchauffement climatique mondial.

C'est dans la troisième partie que l'auteur synthétise les résultats de ces observations et en tire des enseignements. En premier lieu, il répond à la question: comment les sociétés en arrivent-elles à prendre des décisions catastrophiques? Les explications sont variées, des plus rationnelles (les personnes qui décident sont éloignées des lieux où les problèmes se posent, les changements dans l'environnement se produisent à un rythme imperceptible ou sont masqués par des fluctuations) aux plus irrationnelles. J'en relèverai deux. Tout d'abord les élites dirigeantes, si elles vivent de façon repliée sur elles-mêmes, peuvent prendre des décisions nuisibles à l'ensemble de la société, notamment par soif de pouvoir et recherche de prestige. Ce phénomène n'apparaît pas si les dirigeants vivent dans les mêmes conditions que le reste de la population. «La compétition pour le prestige fait rarement bon ménage avec la vision à long terme». Et la vision à long terme est essentielle pour prendre des décisions qui assureront l'avenir d'une société. D'autre part, certaines sociétés se sont trouvées devant un cruel dilemme: mourir dans le respect de certaines valeurs qu'elles jugent fondamentales ou s'adapter pour survivre. Les Vikings du Groenland sont morts de faim alors qu'ils étaient littéralement entourés de poisson de mer, mais refusaient d'en manger. Comment réagirions-nous si nous devions à l'avenir tirer notre apport en protéines des insectes, par exemple? Parmi ces «valeurs» que nous devrons bientôt abandonner, on peut également voir l'attachement à la voiture individuelle, pour beaucoup véritable symbole de liberté.

L'auteur présente son livre comme «optimiste», car malgré les facteurs environnementaux qui peuvent mettre une société en difficulté, il n'existe pas de certitude quant à l'issue de la crise. Les décisions prisent par les personnes concernées restent toujours déterminantes. Néanmoins, les exemples des sociétés ayant survécu à une crise grave n'occupent qu'un chapitre du livre, et les conseils pour des actions concrètes à mettre en oeuvre au niveau individuel sont relégués dans les notes bibliographiques.

Dans le dernier chapitre, l'auteur fait la liste des douze problèmes majeurs auxquels nous sommes actuellement confrontés au niveau mondial. Chacun est assez grave pour nous mettre en danger, même si les onze autres étaient résolus. Pour résumer, ces douze problèmes sont les manifestations du fait que, pour atteindre notre niveau de vie et notre niveau de population actuels, au niveau mondial, nous grignotons inexorablement le capital qu'est pour nous la nature: les terres cultivables, les forêts, les espèces animales. Selon J. Diamond, «du fait même que nous suivons de plus en plus cette voie non durable, les problèmes mondiaux d'environnement seront bel et bien résolus, d'une manière ou d'une autre, du vivant de nos enfants. La seule question est de savoir si la solution ne sera pas trop désagréable, parce que nous l'aurons choisie, ou désagréable, parce qu'elle se réglera sans que nous l'ayons choisie… par la guerre, le génocide, la famine, les épidémies et l'effondrement des sociétés ».

Un aiguillon, donc, pour nous réveiller et nous faire prendre conscience à quel point l'action, tant individuelle que collective, est urgente pour redresser la barre avant que nous subissions la même fin que les sociétés pourtant bien organisées des siècles qui nous ont précédés. «Il faut qu'un dirigeant se fasse parfois visionnaire, ce qui implique du courage politique, puisqu'il doit résoudre un problème environnemental.» Et chacun peut faire preuve de courage, à son niveau, pour mettre en oeuvre les leviers nécessaires à un changement de cap de notre société.

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