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Journal d’une époque
Denis de Rougemont
Gallimard, 1968
598 pages, 1926-1946
L’auteur est né à Couvet (Neuchâtel) en 1906. Son père était un pasteur qu’on dirait aujourd’hui engagé. Denis apprend tout jeune que les gens simples rencontrent de grandes difficultés dans la vie. Après ses études, complétées à Vienne puis à Paris, il se lie avec Emmanuel Mounier et quelques amis qui créent un groupe de réflexion dont les idées essentielles sont le «personnalisme» (par opposition avec l’individualisme et le collectivisme) et son corollaire le «fédéralisme».
D’emblée, il faut dire que ce journal n’a rien d’un journal intime; l’auteur nous y conte ce qu’il a vu et entendu: à Paris comme jeune auteur – un chapitre très intello que l’on peut sauter. Mais après, c’est le départ dans l’Europe centrale des années 20 à 36 (Hongrie, Autriche et surtout Allemagne 1935-36), les gens qu’il côtoie dans cette époque de la montée du nazisme. Il assiste notamment à un discours d’Hitler à Frankfort inoubliable, comme l’ont été ses séjours préalables en province française (Ile de Ré et au sud des Cévennes).
Il rentre en Suisse au moment de la mobilisation comme lieutenant: le 16 juin 1940 à 11 heures, son ordonnance lui apprend que les Allemands sont entrés à Paris. Il écrit aussitôt un article fameux qui paraît dans la Gazette de Lausanne: «A cette heure où Paris…» qui se termine par «car ils ne savent pas ce qu’ils font…». Colère du Reich et l’armée doit se débarrasser de lui. Il part pour six ans aux USA où il participe à la fameuse émission radio «L’Amérique parle aux Français». Il rédige 20 à 30 pages de texte chaque jour. Après la paix, il reste un an aux USA, passant d’un hôte à l’autre, puis il rentre en Suisse où il s’engage corps et âme dans un essai de confédérer les peuples d’Europe… qui échoue bien sûr, le temps n’étant pas encore venu.
Tout au long de ce périple peu ordinaire, il écrit ce journal peu ordinaire lui aussi, émaillé de remarques d’une perspicacité et une profondeur de vue qui frappent chez un homme de son âge. En effet, Denis de Rougement a le don de faire parler ses interlocuteurs en toute liberté – se présentant à eux tel qu’il est, d’abord jeune écrivain sans le sou, puis exilé en Amérique de 1940 à 1946.
Il résulte de ces entretiens et de ces découvertes une série de tableaux vivants – avec chacun leur atmosphère particulière – qui surpassent de loin tout ce que l’on peut lire sur cette époque troublée. L’auteur y livre ses réflexions dont les plus originales concernent la nazisme (une religion!), les mentalités qui diffèrent tellement selon les lieux où il se trouve – de la province française reculée de l’avant-guerre aux Américains de toute nature pendant et immédiatement après le conflit – la bombe atomique, la vocation (une raison d’être), Harward, la littérature française avant guerre écrite dans une langue morte, les Etats-Nations, l’antisémitisme, etc.
À la fin du livre, il parle de ses craintes concernant le gangstérisme mondial qui va bousculer la petite Suisse dans sa tranquillité qui tient de l’inconscience. Une cinquantaine d’années plus tard, ce sera l’affaire D’Amato…
En bref, un livre hautement instructif, à lire à petites étapes comme souvent les bons livres.