Journal L'Essor
Dr. Max-Henri Béguin

Le docteur Max-Henri Béguin

À l'occasion du centenaire de la naissance du docteur Max-Henri Béguin,
la Bibliothèque de la Ville de La Chaux-de-Fonds lui consacre une exposition
(21 novembre 2018 au 30 mars 2019). Allez la voir… elle en vaut la peine !

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Le samedi 24 novembre, le public était aussi invité à venir entendre quelques témoignages
faisant revivre la mémoire de cet homme de convictions qu'était le Dr. Béguin.
Nous saluons cette commémoration en publiant ici les quatre allocutions prononcées…

Pierre-Ami Béguin   |   Renée Hachem Béguin   |   Claude Gacond   |   Jean-Claude Perrinjaquet

Hommage à Max-Henri Béguin
par sa fille Renée Hachem Béguin

Bonjour tout le monde et merci d'être venus!

Excusez-moi, je suis artisane et pas vraiment conférencière. Mais je tenais d'abord à remercier la Bibliothèque et son équipe des fonds spéciaux, de l'hommage qu'ils rendent à mon papa. Les féliciter aussi d'avoir mené à bien cette exposition, malgré le manque de documents, mon papa n'ayant pas écrit ses mémoires et restant très discret sur son passé et pour tout ce qui concernait ses combats.

Je ne sais pas ce qu'il penserait d'être mis en vedette, lui qui n'a jamais cherché les honneurs et qui restait toujours d'une grande modestie.

C'était vraiment un médecin ouvrier, qui n'a jamais porté de chapeau mais son éternel bérêt, qui se gênait d'habiter une maison familiale, roulait le plus modestement possible, en cette fameuse coccinelle qui s'est révélée très efficace dans les pentes très enneigées de La t'Chaux. C'était un adepte avant l'heure de la sobriété heureuse, n'appréciant ni le luxe alimentaire, ni vestimentaire. Je me souviens de son soulagement dans les années '70 d'oser changer le col blanc-cravatte contre un pull à col rond.

L'écologie – dont on ne parlait alors pas du tout – ne lui était pas un concept abstrait. Il la mettait en pratique au quotidien: pas de gaspillage, alimentation végétarienne, jardin biologique; ma maman avait un jardin totalement précurseur, plein de plantes sauvages dont elle avait collectionné les graines.

Papa avait un grand respect pour les travailleurs manuels et ce tempérament de pédagogue: il prenait le temps d'expliquer ses préceptes de santé et d'alimentation. Cette prise de conscience alimentaire a donné l'impulsion à certains de remettre en question d'autres valeurs...

Précurseur il était, parce qu'il voulait soigner la santé. Il doit se retrourner dans sa tombe en voyant l'évolution de la médecine. Il avait compris l'importance de l'alimentation au cours de ses études, par son expérience de Saarebrücke, puis en vivant à Bâle où l'anthroposophie avait répandu une autre manière de penser le manger: ne pas vouloir manger plus raffiné – comme l'aisance d'après-guerre puis l'industrie alimentaire le permettait – mais plus proche de la nature, de ce que le Créateur nous offrait !

Cette opposition entre le naturel et l'industriel était nouvelle à l'époque, la confiance dans l'innovation technique, la modernité étant de mise.

C'est ce qui a été paradoxal dans le début du sucre complet: Nestlé était partante pour une expérience à l'encontre de son but industriel. La révolution qu'aurait pu susciter le sucre complet a été d'ailleurs vite étouffée, d'où la naissance obligée de Pronatec. Mais qui ne se souvient des biberons tendrement préparés avec farine de millet, lait de vache coupé et sucre complet ?

L'histoire avait commencé avant. Arrivant en 1953 à La Chaux-de-Fonds, mon père n'a pas trouvé un seul pain complet dans les boulangeries locales. Il a alors collaboré avec Marending et –je crois– un boulanger Kämpfer pour fabriquer les pains Graham et Steinmetz. La Chaux-de-Fonds devint la 1ère ville de Suisse romande où l'on mangeait du pain complet. Il s'est même battu, quelques années plus tard, pour garder une mouture élevée pour le pain noir, alors que la mouture suisse était devenue plus claire, à la demande de l'Armée qui voulait un pain moins foncé pour ses recrues!

Sa pratique médicale l'a conforté dans ses convictions alimentaires: il voyait l'évolution positive des familles qui suivaient ses préceptes. C'est ce qui lui a inspiré l'idée de faire ses recherches statistiques...

Mais revenons à sa pratique quotidienne: il était au service de ses jeunes clients, heureux d'en avoir une majorité en bonne santé, dû au suivi des nourissons!

Il n'aurait jamais voulu obliger ses patients grippés à sortir au froid pour venir en consultation: Il faisait jusqu'à quarante visites à domicile par jour, n'hésitant pas à repartir le soir pour s'assurer qu'il n'y avait rien de grave. Même la nuit, il restait atteignable, un téléphone trônait sur sa table de nuit.

À l'occasion c'était même "à l'ancienne": les routes de campagne étant en hiver pleines de congères, c'est en "glisse" tirée par des chevaux que les paysans l'emmenaient parfois pour le dernier kilomètre.

Mon papa avait pour cela un impressionnant manteau en fausse-fourrure. Et ses grands sourcils faisaient un peu peur aux petits alités, mais sa présence calme rassurait très vite parents et enfants. Tout le monde se souvient de son diagnostic: "C'est pas grave...".

Mais il était aussi sévère: il avait une tolérance zéro pour la fumée. Si un enfant était sujet aux bronchites, il disait aux parents: "Si vous n'arrêtez pas de fumer, je ne viens plus !"

Il ne faut pas omettre l'importance de ma maman: secrétaire médicale, téléphoniste, confidente. Elle posait le premier diagnostic, rassurait par téléphone, donnaient les conseils de premiers secours! Elle devait aussi remédier au manque de moyens de communication: bien des ménages n'avaient pas le téléphone. Le portable on n'en parle même pas! Alors comment communiquer une urgence au docteur, en route pour une vingtaine de visites? Il fallait évaluer les temps de visites et de trajets, chercher dans le disparu livre d'adresses un voisin complaisant ayant le téléphone... tout cela en préparant le diner pour la famille.

Les jeunes mamans profitaient de téléphoner aux heures tranquilles de milieu de matinée pour s'ouvrir à elle de leurs soucis quotidiens. Ma maman les écoutait avec patience.

De la patience, elle en avait! Elle a dû en avoir, son mari faisant passer travail et luttes avant la famille. Mais elle réussissait à nous organiser de magnifiques ballades le dimanche, qui ressourçaient toute la famille.

Bien avant les skis de fond, maman n'hésitait pas à nous prendre en hiver, en skis avec "peaux de phoque", de la Corbatière aux Ponts-de-martel, en passant par le Mont-Racine!

Une autre lutte médicale de mon papa a été la suppression de la vaccination contre la variole. Il était si discret que je ne l'ai su que beaucoup plus tard: sa jeune soeur était gravement handicapée suite à une encéphalite due à la vaccination anti-variole. C'est donc avec ses tripes qu'il s'est battu, avec succès, et je pense que ce succès contre les "autorités" a renforcé son assurance d'oser s'opposer à l'ordre établi.

Papa reconnaissait d'ailleurs les bienfaits d'autres vaccinations: diphtérie, tétanos et polio, tout en dédramatisant les "maladies d'enfants" contre lesquelles il ne comprenait pas la nécessité d'un vaccin.

Une lutte un peu anecdotique et un peu oubliée est celle des pistes de luge. Eh oui ! Il s'est battu avec l'argument de la santé des enfants contre les projets immobiliers voulant empiéter sur l'espace de jeu enneigé. Sans lui, les Cibles, les Arêtes et la Sorcière seraient construits.

Comme père, bien sûr, il n'était pas très disponible, toujours préoccupé par une lutte dans un domaine ou un autre, mais si convaincu d'essayer de nous préparer un monde meilleur.

Son besoin de sociabilité comblé par son travail, n'aimant ni les banquets ni les bonnes bouteilles, il n'avait pas beaucoup d'amis, mais leur restait très fidèle. Je me souviens d'Éric Descoeudres, journaliste à Coopération puis à L'Essor, avec lequel il s'était lié à Bâle. Ainsi que du peintre Werner, de Saubraz, auquel mon père restait si reconnaissant: il avait préparé ses examens dans un cadre tranquille et avait été imprégné d'une philosophie si différente de son milieu familial, celle des Quakers. D'amis, il en avait sûrement quelques autres, mais ils ne venaient pas à la maison.

Papa était un homme sensible. Il souffrait beaucoup quand un de ses patients était gravement malade, en danger, ou pire. Il était soucieux et ne riait pas souvent. Toutefois, il ne nous associait pas trop à ses luttes, voulant nous laisser l'insouciance de l'enfance. Mais il était profondément reconnaissant devant les spectacles de la nature: une vue dégagée sur les dos ronds de notre Jura ou sur les Alpes, une fleur rare, des sapins enneigés, un ciel du soir l'épanouissaient. Il appréciat aussi les repas familiaux, simples et sains et était peut-être gourmand. C'était une bonne raison de se battre pour le sucre complet plutôt que contre les plaisirs sucrés!

Notre père nous a transmis de grandes valeurs: la sobriété heureuse et l'amour de la nature. Il nous a appris que le bonheur n'est pas d'avoir et que la Nature est le meilleur lieu de ressourcement. Les luttes qu'il a menées nous inspirent toujours et encore un grand respect.

– Renée Hachem Béguin