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Histoire de l’objection de conscience

en Suisse, au 20ème siècle.
Aspects historiques, politiques et juridiques (Essai)

Jean-Luc Portmann, docteur de l’Université de Neuchâtel
Paru en 2017, Nombre de pages: 345

Brève introduction sémantique

Définition de l'expression objection de conscience, d'abord en général (I), puis dans le jargon du droit pénal militaire puisque, comme nous allons le voir, tous les récalcitrants à effectuer du service militaire ne correspondent pas à cette appellation, mais sont taxés, suivant les cas, de réfractaires, d'insoumis, de déserteurs, etc.

Or, la définition de l'objection de conscience –au sens du droit criminel de notre armée– a évolué pour se modifier entre les périodes de 1950 à 1967 (II.1), de 1967 à 1991 (II.2) et de 1991 à nos jours (II.3).

Cependant, nous avertissons le lecteur que nous emploierons librement l'énoncé 'objecteur de conscience au sens large' ou 'objecteur de conscience latu senso' pour désigner toutes les personnes qui refusent de se joindre à notre armée.

À la fin de cette introduction, je conclurai et donnerai mon avis (III).

I. Définition en général

1. Signification de la locution 'objecteur de conscience' en français courant. Elle apparaît dans les années 1930 dans la langue française et provient de l'expression anglaise 'conscientious objector' usitée Outre–Manche depuis la fin du XIXème siècle. Le Petit Robert1 donne la définition suivante de l'objecteur de conscience : "Celui qui, en temps de paix ou de guerre, refuse d'accomplir ses obligations militaires, en alléguant que ses convictions lui enjoignent le respect absolu de la vie humaine". Cette définition exclut – malheureusement ou heureusement! – certaines personnes : d'abord, les appelés communistes (staliniens, trotskystes, maoïstes etc.) et les réfractaires anarchistes favorables –– au moins dans certains cas – au recours à la violence et d'autres insoumis pas entièrement décidés à avoir un respect absolu de la vie humaine.

2. Définition de la notion proche de l'objection de conscience qu'est la désobéissance civile selon John Rawls. Cette dernière peut être définie "comme un acte public, non–violent, décidé en conscience, mais politique, contraire à la loi et accompli le plus souvent pour amener à un changement dans la loi ou bien dans la politique du gouvernement". Par ce processus, on s'adresse au sens de la justice de la majorité de la communauté.

3. Définition de l'objection de conscience selon John Rawls. L'objection de conscience est "le fait de ne pas obéir à une injonction légale plus ou moins directe ou à un ordre administratif". Un exemple typique est le refus des premiers chrétiens d'accomplir certains actes de piété prescrits par l'Etat païen ou l'objection des Témoins de Jéhovah à saluer un drapeau. Le refus de servir dans les forces armées est bien évidemment aussi un cas d'objection de conscience – c'est même sur celui–là que je me concentrerai sauf mention expresse. [Désirant justement élargir la problématique, De Leonardis relate que "des motifs de conscience, éthiques ou religieux, sont invoqués à propos d'actes destinés à donner la vie ou la mort dans le domaine médical et scientifique" (fécondation in vitro, avortement, euthanasie etc.)].

4. Principale différence entre l'objection de conscience et la désobéissance civile. Dans le premier cas de figure, on désobéit à un ordre ponctuel pour y échapper in casu; dans la seconde hypothèse, comme je l'ai souligné, on s'adresse au sens de la justice de la majorité de la communauté. Cependant, la même action (ou séquence d'action) peut comporter des éléments des deux attitudes.

II. Définition en droit pénal militaire

1. De 1950 à 1967

5. Définition de l'objection de conscience au sens étroit. Depuis 1950, année de l'entrée en vigueur de la nouvelle version du Code pénal militaire – datant de 1927 –, la locution 'objecteur de conscience' a pris un sens nouveau – du moins dans la bouche des juristes avertis, dans la jurisprudence des Tribunaux militaires de division et dans celle du Tribunal militaire de cassation ainsi que dans la doctrine juridique militaire. Dès cette date, les objecteurs de conscience sont, au sens légal, les militaires qui refusent de servir parce que :

– d'une part, ils ont des convictions religieuses avérées les contraignant à ne pas pouvoir faire du service militaire – fût–ce sans arme! – et

– d'autre part, ils rendent vraisemblable qu'ils éprouvent un grave conflit de conscience ou une détresse morale profonde.

Ces deux conditions sont cumulatives. Si elles sont remplies, les condamnés exécutent leur peine sous la forme des arrêts répressifs – prison la nuit et le week–end, et la journée travail (non rémunéré, il va sans dire) dans un hôpital ou dans l'agriculture ou autre – sans être en contact avec des détenus de droit commun5. Au sujet de cette révision, voir nos 55ss.

2. De 1967 à 1991

6. Elargissement de la définition de l'objection de conscience au sens étroit. En 1967, une deuxième révision du Code pénal militaire place les objecteurs de conscience invoquant des convictions morales sur pied d'égalité avec les objecteurs de conscience religieux6. Pour plus de détails, voir nos 60ss.

Relevons que ni la révision de 1950 ni celle de 1967 n'ont fait l'objet d'une votation populaire.

3. Dès 1991 à aujourd'hui

Ce n'est pas le cas de la troisième révision du Code pénal militaire visant à améliorer le sort d'une partie des récalcitrants, appelée Loi Barrras, laquelle est acceptée par le peuple en 1991. Sont dorénavant reconnus objecteurs de conscience, les militaires invoquant des motifs religieux ou éthiques et qui ne peuvent concilier le service militaire avec les exigences de leur conscience; donc, définition encore plus large (voir nos 203ss).

III. Conclusion et avis personnel

7. Un civiliste n'est pas un objecteur de conscience! Depuis le 1er octobre 1996, dans la langue ordinaire, on assimile parfois objecteur de conscience à civiliste. Comparaison n'est pas raison : la vie d'un détenu est beaucoup plus éprouvante que celle d'un civiliste!

8. Persistance du problème encore aujourd'hui. Notons que depuis cette dernière date, un homme qui n'obtient pas le droit de faire du service civil ou qui ne veut absolument pas en accomplir peut être déféré devant un juge militaire.

9. Cas apparemment unique en Suisse d'une récalcitrante. Notons qu'en 1984, un cas unique – à ma connaissance – de condamnation d'une 'objectrice de conscience' par un tribunal de division s'est produit7. L'intéressée écope de 8 jours d'arrêt après un refus de servir causé par des attentes déçues. (En Suisse, le service militaire féminin est volontaire, mais si la femme s'engage, il devient une obligation). Actuellement, en cas de refus de servir par une femme, cette dernière pourrait effectuer du service civil étatique; c'est même la seule possibilité pour elle d'en accomplir.

10. Mon opinion. A titre personnel, je me suis toujours opposé au bien–fondé de la loi (ou code pénal militaire) séparant les 'bons' objecteurs des 'mauvais', ou, autrement dit, les objecteurs au sens étroit, d'une part, et les réfractaires, d'autre part. Que le législateur et la jurisprudence fasse la différence entre un témoin de Jéhovah, un chrétien ou un non–violent et un homme qui prononce des injures devant ses juges, je peux le comprendre; dans une partie des cas, du point de vue de la Justice, c'est soutenable.

Mais, selon moi, c'est l'aspect criminologique qui pêche le plus. Emprisonner des jeunes hommes qui n'aiment pas apprendre à tuer ou à obéir, qui abhorrent porter l'uniforme ou, a fortiori, qui clament des arguments d'ordre religieux ou éthique non–admis par les tribunaux militaires, avec des criminels dans des pénitenciers constitue –selon moi– une véritable aberration.

Voilà pour l'introduction!

Cette introduction est publiée ici (www.journal-lessor.ch/objection) avec autorisation de l'auteur.
© Jean-Luc Portmann, Neuchâtel, 2017. Toute reproduction interdite, sans autorisation écrite.

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