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Décembre 2018
Les utopies de 1918 sont devenues réalité aujourd’hui
Auteur : Rémy Cosandey

Le centième anniversaire de la Grève générale de 1918 a donné lieu à de nombreux témoignages: expositions, célébrations, reportages à la télévision, matériel didactique pour les écoles et livres. Parmi ceux-ci, il en est un qui a particulièrement retenu mon attention: «La Grève générale de 1918 en Suisse – Histoire et répercussions» (Editions Livreo-Alphil, collection Focus).

Avec l’aide de Laurent Andrey, Mathias Reynard et Julien Wicki, le politologue Jean-Claude Rennwald et l’historien Adrian Zimmermann ont su rappeler, en des termes parfaitement choisis, les raisons, le déroulement et les conséquences de cette grève. Citons un extrait de leur introduction: «Lorsqu’elle se déclenche en novembre 1918, la grève générale représente la plus grave crise politique que la Suisse moderne ait connu depuis la guerre du Sonderbund en 1847. Il n’est donc pas surprenant qu’elle soit restée un sujet contesté de discussions historiques et politiques. Survenant à la fin de la Première Guerre mondiale, elle montre que la Suisse est un pays divisé au sein d’une Europe divisée: entre classes sociales, entre bourgeoisie et prolétariat, entre communautés linguistiques et culturelles et entre nations. La grève générale remet en question une vision historique marquée par le mythe d’une Suisse qui aurait été consensuelle depuis ses origines».

La Grève générale ne s’est pas déclanchée spontanément. Elle est le fruit d’une série de revendications non entendues par les autorités conservatrices de l’époque, par l’attitude hautaine des officiers supérieurs de l’armée suisse et par la détérioration des conditions de travail des ouvriers, conséquences de la guerre sur l’économie: notamment hausse du prix des denrées, montée vertigineuse de l’inflation, pénurie de combustible, carences nutritives.

250.000 personnes dans les rues

La guerre de 1914-1918 est devenue une bonne affaire pour quelques profiteurs et une source de misère pour la grande majorité de la population. Après de nombreuses tractations restées sans effet, le Comité d’Olten, avec à sa tête Robert Grimm, conseiller national socialiste, décréta un arrêt total du travail. C’est ainsi que 250.000 personnes descendirent dans les rues des villes suisses du 12 au 14 novembre, obligeant le Conseil fédéral à avoir recours à l’armée pour casser le mouvement.

Les revendications de la Grève générale étaient au nombre de neuf:

Les revendications de la Grève générale étaient au nombre de neuf:

Face aux menaces du Conseil fédéral, la grève s’arrêta au bout de trois jours. Un échec? Non, car elle a marqué durablement de son empreinte le paysage social et politique de la Suisse du XXe siècle, avec par exemple l’entrée en vigueur de l’AVS en 1948 et l’introduction du suffrage féminin en 1971.

La grève, un chantage? L’a-t-on souvent entonné cet affreux refrain, dans tous les partis conservateurs! La grève n’est un plaisir pour personne. Et elle atteint d’abord ceux qui n’ont plus que ce moyen-là pour défendre leur droit de vivre. La perte de salaire, la crainte du chômage, l’angoisse au foyer de chacun, la gêne pour tous, le danger d’être mal compris par d’autres catégories de travailleurs, tout cela il faut que les grévistes le supportent, tandis que les maîtres de l’appareil de production spéculent sur la lassitude engendrée par tant de misère.
– François Mitterand

Les grévistes de 1918 étaient des visionnaires. Aujourd’hui malheureusement, certaines de leurs propositions sont remises en question par une partie de la droite et du patronat, comme le trahissent les attaques contre l’AVS, contre la loi sur le travail ou contre les services publics. Ce qui inquiète fortement les auteurs du livre: «Dans ces conditions, on peut se demander si, dans un avenir plus ou moins proche, nous assisterons non pas à une répétition de l’histoire, mais à de nouvelles luttes sociales de grande ampleur. Rien ne permet de l’affirmer mais, de fait, aujourd’hui de nouveau la société est divisée en deux camps politiques antagonistes: un qui prône la construction d’une société démocratique, plus solidaire, répartissant mieux les fruits de la croissance et investissant davantage dans la sauvegarde de l’environnement; et un autre, inspiré par le développement des idéologies néolibérale et nationale-populiste, avec tout ce que cela représente en termes d’exclusion, d’inégalités toujours plus fortes, de chasse aux immigrés et aux demandeurs d’asile».

La plupart des utopies de 1918 sont devenues des réalités aujourd’hui. Mais rien n’est définitivement acquis et ceux qui pensent que la compensation du coût de la vie, la diminution de l’horaire de travail et l’augmentation des semaines de vacances sont un dû se trompent lourdement. Rien n’a jamais été donné par le patronat et il a fallu la lutte incessante des syndicats et des partis de gauche pour améliorer le sort des travailleurs. Les syndicats ont plus que jamais leur raison d’être et ceux qui ne les rejoignent pas sont des ignorants ou, pire encore, des égoïstes.

Rémy Cosandey

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