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Août 2017
Source de vie ou de profit et de conflits?
Auteur : François Iselin
« Je meurs de soif auprès de la fontaine »
– François Villon
L’eau n’est plus perçue comme un don de la nature, mais comme une marchandise produite et vendue par le Marché en mains du capital. On commande et consomme une Henniez ou une Evian, celle gratuite du robinet nous rebute. On apprécie cette boisson désaltérante entre toutes que pour les seuls attributs que sa publicité arbore: «plate» ou «gazeuse», comme s’il ne s’agissait plus d’eau, mais d’une mixture arbitrairement trafiquée. La firme Henniez a même eu l’audace de la qualifier d’«acratopège», soit «sans qualités particulières»! L’eau naturelle est ainsi dénaturée. Le consommateur dédaigne son origine, ignore ses vertus vitales, ses apports indispensables à la vie. Il se moque de sa raréfaction, sa pollution, le prix exorbitant de son épuration et de sa mise en bouteilles plastiques affublées d’étiquettes trompeuses.

Ce bien indispensable à la vie sur terre couvre 71% de sa surface – dont la plus grande partie salée – et constitue le 64% de notre masse corporelle. Nous naissons dans l’eau, vivons d’amour et d’eau fraîche et cette vie-là nous met l’eau à la bouche! Pourtant, elle est galvaudée, privatisée, gaspillée par les multinationales avides d’en faire une marchandise de plus. Pour cela il a fallu qu’elles dissimulent sa gratuité, alors qu’elle nous tombe du ciel, abreuve les sources qui la recueillent puis la déversent sans compter aux quatre coins du monde.

La consommation contrainte de ressources naturelles imposée par le Marché a détourné l’humanité de la nature. Négligeant ses dons, nous n’en sommes plus admiratifs, ni reconnaissants. On ne survit plus grâce au pain et à l’eau que la nature nous offre, mais au prix de l’argent nécessaire à les acquérir. Les fontaines publiques s’assèchent faute de crédits publics alors que les marchands de flotte hâtent leur pillage. L’eau n’est plus bonne qu’à tirer la chasse, laver des carrosseries encrassées, asperger son gazon stérile et remplir sa piscine chlorée. Sans l’eau, ce diluant universel, nous ne pourrions laver les impuretés qui tant nous inquiètent, soucieux de rester propres dans notre monde souillé.

Qu’est-ce qui ne va plus dans nos cerveaux asséchés? La magie de l’eau a fait place aux mirages d’un regretté «progrès». Les biens de la nature ont perdu leurs substances, leurs magies, le respect et la reconnaissance pour un don qu’on lui doit. L’eau a été désacralisée, non pas au sens que les croyants donnent à l’eau bénite et baptismale, mais au sens écologique: un bien essentiel à la vie que le génie humain ne sait, ni ne peut produire, mais que dilapider et souiller.

L’eau c’est la vie et, pour s’assurer qu’elle pourrait animer quelques exoplanètes de l’univers, les savants ne peuvent que chercher s’il y a de l’eau. On peut rapprocher notre indifférence face à l’eau à celle de cet autre liquide devenu indispensable à la «croissance» qu’est le pétrole, l’huile de pierre que la nature a engendrée au cours de milliards d’années. L’humanité s’en repaît, par BP, ESSO, TOTAL interposés, qui l’ont épuisée en une infime fraction du temps que la vie sur terre a mis à l’élaborer. Ces prédateurs dévastent la terre pour en extraire les dernières gouttes à brûler dans les réservoirs des moteurs à explosion devenus obsolètes et bientôt taris.

La magie de l’eau est celle de son abondance mystérieusement puri-fiée. Le soleil, l’évaporant des terres souillées et des océans saumâtres, la distille, l’allège et l’élève dans l’atmosphère où de lourds nuages l’accumulent. Puis, le ciel rafraîchi les condense précipitant leurs masses sous forme de pluies légères, de neiges impalpables et de grêles alourdies. Les glaciers, comme les barrages et les forêts en stockent les réserves, les écoulent lentement au gré des besoins. C’est ce cycle d’évaporation, condensation et congélation, réglé par les variations des apports solaires qui approvisionne en eau pure l’humanité, la flore et la faune depuis la nuit des temps.

Ces changements constants d’état de l’eau varient selon la température, de vapeur, d’eau et de glace, dont la consistance est gazeuse, liquide ou solide. Soumise à la gravitation terrestre, l’eau aérienne s’élève, tombe en pluie et chute lourdement. Bref, un vrai miracle qui force l’admiration, l’émerveillement et l’humilité.

Au lieu de nous en réjouir, nous pestons contre les pluies diluviennes, les sécheresses, le manque de neige, la fonte des glaces, passant sous silence que nous en sommes les premiers responsables. Il faudra que nous, les victimes de l’emballement productiviste, retrouvions cérémonieusement la nature pour ce qu’elle leur donnait sans compter et honoraient les déesses des eaux. La célébration d’une Journée mondiale de l’eau, le 22 mars de chaque année dans le monde, a été instituée par les Nations unies en 1993. Ne serait-ce pas là l’occasion de nous ressaisir en fêtant notre source de vie avant que le monde n’aille inexorablement à vau-l’eau et que nous suions sang et eau?

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