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Avocat et député vaudois, Me Jean-Michel Dolivo pose sur le droit et la justice un regard d’une part professionnel, et d’autre part celui du citoyen justiciable. Son constat est sans appel, la justice se sert du droit, qui lui-même sert ceux qui l’ont institué. La conséquence est nette, le droit est un bras de l’Etat qui exerce une justice de dominants. Dans les faits, la justice émane du pouvoir et le pouvoir de juger émane de l’Etat. Evidemment, les juges opposeront à cet état de fait un argument montrant une parfaite impartialité. D’ailleurs, il n’est pas ici question de faire le procès des juges, mais de constater que rendre la justice n’est pas, comme je le pensais naïvement, le but de l’appareil judiciaire. Il s’agit, au contraire d’appliquer un droit, davantage pensé pour protéger la propriété et punir en conséquence celle ou celui qui aura «endommagé» un bien que pour secourir un citoyen démuni. La «faute» est passée d’une atteinte asociale à une réparation sonnante et trébuchante. Le droit punit en finançant alors que la justice réclamerait une action salutaire avec si possible une vertu d’exemplarité.
Les nombreux exemples «d’injustices» diverses et variées qui ont suscité mon intérêt pour ces questions montrent que la «victime» est toujours le petit, le pauvre, la mère célibataire, l’ouvrier isolé, etc. L’arnaque qui a déclenché l’injustice est le fait de gens peu scrupuleux qui arriveront toujours à démontrer, à l’aide du droit écrit et – il faut bien le dire – d’avocats tout aussi avides que leurs clients véreux, leur bon droit pour finalement arriver à faire condamner (c’est-à-dire à faire payer) le naïf qui se sera «fait avoir». Vous pensez que j’exagère? Vous pensez que je dresse un constat simpliste? Eh bien, malheureusement non. Il ne fait pas bon être pauvre dans notre beau pays. Il ne fait pas bon être affaibli par la maladie, il ne fait pas bon être dans le camp des «petits».
Me Dolivo, lui, fait un constat encore plus radical. Il affirme que nous avons une justice de classe, pour la simple mais évidente raison que c’est la classe dominante qui a écrit le droit. Que la séparation des pouvoirs est un leurre à l’usage du citoyen crédule, que l’égalité des droits n’est que très rarement appliquée vraiment. Il poursuit son analyse en désignant la justice, ou plutôt l’appareil judiciaire comme étant le bras «armé» du système qui ne fait qu’instituer un rapport de force où nécessairement le pot de terre ne résistera pas au pot de fer.
À l’appui de cette thèse, les nombreuses affaires qui ont défrayé les chroniques spécialisées, si friandes de bons gros scandales, démontrant que les sanctions ne sont pas les mêmes selon qu’elles s’appliquent à un notable ou au dernier quidam venu. En perdant sa cécité, le système judiciaire a perdu ce pourquoi nous croyions tous qu’il était fait: appliquer la justice! La différence entre les grands principes qui nous sont enseignés durant nos diverses étapes scolaires et la réalité du terrain judiciaire est de plus en plus flagrante, même si pour Me Dolivo, il en a toujours été ainsi. La justice est de plus en plus appelée à arbitrer des conflits généreusement dotés en sommes financières indécentes. De plus en plus souvent, le système glisse vers un business de plus en plus profitable. On ne devient plus avocat ou juge par passion de la justice, on devient un acteur judiciaire parce qu’il y a gros à gagner.
Et de poursuivre en constatant que la «judiciarisation» venue d’outre-Atlantique exerce aujourd’hui une fascination sur nombre d’avocats (pas tous, bien sûr) par les sommes indécentes qui y sont échangées. La «réparation» est devenue, plus que jamais, une «financiarisation» qui n’a plus grand-chose à voir avec le dommage réel. La récente tricherie des moteurs diesel de VW a révélé très rapidement l’avidité de certains avocats qui se sont jetés sur «le scandale» en prenant des airs de divas offusquées. Mais c’est uniquement parce qu’il y a de l’argent, beaucoup d’argent à la clef, et puis ça fait bien de punir les menteurs de VW, ça a l’air «moral». Pendant ce temps, les empoisonneurs agro-alimentaires continuent à tuer la terre sans qu’aucun tribunal ne daigne s’en préoccuper. Où est la justice là-dedans? Il est vrai que les tragiques conditions dans lesquelles vivent les paysans du tiers monde ne vont pas rapporter de quoi vivre dans les plus luxueux palais de la planète.
Le célèbre «nul n’est censé ignorer la loi» est une belle tromperie, car de nos jours personne, pas même les juges, ne peut connaître l’ensemble du corpus législatif. Dire que c’est devenu une usine à gaz est un doux euphémisme. A cette assertion, je préfère ce dicton sud-africain: Quand la force occupe le chemin, le faible entre dans la brousse avec son bon droit. Pour terminer, je vais proposer à votre méditation le vieux proverbe qui dit: «Nul ne perd qu’autrui ne gagne».
Je remercie Me Dolivo pour sa franchise et son expertise, qui m’ont franchement dessillé les yeux. Maintenant, tout est dit!