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Avril 2015
Le drone de fer
Auteur : Jean-Luc Wenger
Cet article a été publié dans le journal Vigousse le 6 mars 2015.
Il est repris dans l’essor avec l’autorisation de son auteur.

Même s’il y avait plus petit et moins cher, l’armée suisse veut à tout prix acheter de lourds et coûteux avions sans pilote israéliens. Motif: elle les veut, un point c’est tout.

Le 26 février était déposée à Berne une pétition forte de 28.000 signatures: autant de gauchistes rétrogrades tolérant mal que l’armée suisse achète six drones israéliens Hermes 900 pour 250 millions, au prétexte qu’ils ont été testés à Gaza, en Cisjordanie ou au Liban. De fait, le fabriquant Elbit Systems vend son joyau avec la mention «ayant fait ses preuves au combat»; en particulier lors de l’opération «Bordure protectrice» à Gaza en 2014, où une bonne part du «combat» faisait rage contre des civils.

Vous ne pouvez pas dire que la civilisation ne progresse pas,
car à chaque guerre on vous tue avec une méthode nouvelle.
Will Rogers

Aucune importance, selon Karin Suini, porte-parole du Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS): «Le Conseil fédéral est convaincu que l’acquisition des drones israéliens n’entame en rien la neutralité, la crédibilité et l’efficacité de la politique étrangère de la Suisse au Proche-Orient.» Et ces emplettes n’appuient en rien le secteur militaro-industriel d’Israël, bien évidemment.

Mais au-delà de l’aspect diplomatique et éthique, un argument beaucoup plus terre-à-terre met en cause cet achat. Selon un expert, l’engin israélien est bien trop cher, d’autant qu’il existe une alternative suisse: un excellent drone conçu par UMS Aero Group, le F-720, qui ferait le même boulot pour un prix cinq fois moindre. Seule différence, son autonomie n’est que de 8 à 12 heures, contre 24 heures pour l’Hermes 900. «Mais c’est largement suffisant, puisque les machines tournent par rotation», relève ledit expert. De plus, sachant qu’il y a «moins de stations de contrôle que de drones, une autonomie de 24 heures ne sert à rien». Par ailleurs, les pays voisins ont opté pour de petits appareils bon marché du genre F-720: pourquoi diable la Suisse veut-elle à tout prix se distinguer en s’équipant de bidules volants gros et ruineux?

La guerre serait un bienfait si elle ne tuait que les professionnels.
Jacques Prévert

Pour Karin Suini, la réponse est simple, pour ne pas dire simpliste: l’Helvétie a des «exigences accrues en matière de sécurité et d'intégration dans l'espace aérien. Des exigences que seuls des appareils d’une certaine envergure pourraient remplir». On est prié d’y croire, et d’admettre au passage que les États voisins n’ont rien compris à rien.

Cela dit, les Écoles polytechniques fédérales de Zurich et Lausanne ne travaillent-elles pas sur des drones utilisables en Suisse? Si, mais ils sont «sensiblement plus petits et ne sont pas adaptés à des fins de reconnaissance militaire», balaie la porte-parole du DDPS. Puisqu’on vous dit qu’on veut des engins gros!

Officiellement, les six Hermes 900 doivent surveiller de vastes territoires et contribuer à la protection d’infrastructures contre d’éventuelles attaques, y compris terroristes. Nul ne précise en revanche le nombre de personnes mobilisées pour contrôler le bazar, ni le nombre annuel d’heures de vol. Les drones ne seront pas armés (mais ça reste techniquement possible): en temps normal, ils appuieront les autorités civiles, gardes-frontière, police, pompiers. Du reste Ueli Maurer l’a précisé face à la presse: l’usage des machins pour la promotion de la paix «n’est pas exclu». La preuve? Le modèle Hermes 900 a servi lors de la Coupe du monde de foot au Brésil. C’est dire s’il sera utile pour les prochains Jeux Olympiques en Valais.

La paix est le temps où les fils enterrent leurs pères;
la guerre est le temps où les pères enterrent leurs fils.
Hérodote

Bref, les galonnés et le Conseil fédéral sont formels, le pays a impérativement besoin de ces engins-là. Comme il avait jadis impérativement besoin de sa propre bombe atomique, ou plus récemment de 204.000 obus à sous-munitions, israéliens eux aussi, payés 676 millions, et qui voici peu étaient acheminés à grands frais en Norvège et en Allemagne pour y être détruits (Vigousse, 11.10.13 et 8.11.13).

L’acquisition des six drones doit encore être validée par le parlement. Mais il ferait beau voir qu’il se rebiffe. Même si des avions sans pilote à ce prix-là, c’est du vol.

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