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Aux armes, etc. (d'après Serge Gainsbourg)
Avant d’exporter des armes, la Suisse exportait ses bras (ce qu’aiment à oublier les tenants de la «surpopulation étrangère»…). Du XVe au XIXe siècle, des dizaines de milliers de jeunes Suisses ont servi comme mercenaires dans les armées française, anglaise, hollandaise, prussienne, napolitaine, papale, etc.
L’un de ces corps d’élite, la Garde suisse du roi de France, est immortalisée par un monument, à Lucerne: le «lion de Lucerne» fut érigé en 1821, c’est-à-dire à une époque où les monarchies européennes, après le congrès de Vienne et la bataille de Waterloo (morne plaine…) pensaient avoir éradiqué les idées nouvelles issues de la Révolution française.
Dans la principauté de Neuchâtel, devenue de 1806 à 1814 fief d’Alexandre Berthier, maréchal d’Empire et chef d’état-major de l’armée française durant le règne de Napoléon Ier, fut constituée une unité, dite «bataillon des Canaris» (d’après la couleur jaune de leur uniforme), dont la majorité des soldats trouvèrent la mort, lors de la retraite de Russie en 1812. Remis en possession de son ancienne principauté en 1814, Frédéric-Guillaume (roi de Prusse) recruta un bataillon de tirailleurs neuchâtelois: la source de recrutement de cette unité fut brutalement interrompue le 1er mars 1848, lorsque les républicains neuchâtelois profitèrent des remous révolutionnaires en Europe pour virer le Conseil d’Etat de Sa Majesté.
Le dernier épisode du mercenariat se déroula dans le royaume des Deux-Siciles en 1859-1860, lors de l’expédition des «Mille», sous le commandement de Giuseppe Garibaldi. La réprobation suscitée par ces événements en Suisse mena à l’interdiction du service mercenaire. Seule survivance tolérée par les autorités fédérales: la Garde suisse du Vatican.
Un aspect connexe de ces migrations: elles permirent la constitution de réseaux commerciaux suisses à l’extérieur. En effet, après certains accidents de travail (perte d’un bras ou d’une jambe – mais pas de la tête… – santé détériorée par la vie des camps), les ex-mercenaires ne rentraient pas toujours au pays. L’esprit de famille et d’entreprise d’un proche resté en Suisse facilitait leur recyclage professionnel.
Une fois la solution du mercenariat écartée, durant le XIXe siècle, la Suisse resta un pays d’émigration (cette fois-ci civile). Bon moyen pour les collectivités publiques de faire baisser les tensions sociales et de réaliser de substantielles économies sur leurs budgets d’assistance publique. Ainsi, la ville brésilienne de Nova Friburgo fut créée dans les années 1820 par des ex-bénéficiaires fribourgeois de l’assistance publique, mis très démocratiquement par les autorités devant le choix suivant: se voir couper leurs maigres allocations ou accepter un billet simple course (payé par la commune d’origine) en direction du Nouveau Monde.
Avec l’industrialisation de la Suisse (seconde moitié du XIXe siècle-début du XXe siècle), la donne a changé: parmi les industries florissantes, l’industrie d’armement, dont les belligérants de nombreuses guerres ont pu apprécier la qualité…
Le rôle de cette industrie, durant la Seconde Guerre mondiale, au profit de l’Allemagne nazie, est bien connu. Citons à ce propos une plaisanterie grinçante de l’époque: «Les Suisses travaillent six jours pour l’Allemagne et ils prient le dimanche pour la victoire des Alliés».
Autre épisode: celui des avions Pilatus, fabriqués à Stans (demi-canton du Nidwald). Décrits par leur fabricant comme des appareils civils, il suffit toutefois d’une légère modification technique pour les transformer, ni vu ni connu, en bombardiers. Leur présence fut dénoncée dans les années 1980 au Guatemala et dans la seconde moitié des années 1990 dans l’Etat mexicain du Chiapas, après l’insurrection menée par l’EZLN (Armée zapatiste de libération nationale). Dans un message adressé à un comité de soutien en Suisse, le sous-commandant Marcos (porte-parole de l’EZLN) écrivait: «Durito [scarabée fétiche, personnage fictif utilisé par Marcos dans ses messages] préfère que vous lui envoyez du chocolat plutôt que des Pilatus».
Sur un autre point, la mythologie des armes a eu une influence (déplorable) sur l’égalité civique entre hommes et femmes. Les femmes d’Appenzell-Rhodes intérieures ont dû attendre 20 ans après l’introduction du suffrage féminin sur le plan national (1971) pour obtenir les droits civiques communaux et cantonaux. En effet, ce demi-canton avait maintenu la landsgemeinde (assemblée des électeurs sur la place publique): réminiscence des vieilles traditions germaniques, l’épée – ustensile typiquement masculin – servait de carte civique!
Un mot pour conclure: à chaque contestation de l’industrie d’armement, les promoteurs de cette dernière découvrent que des emplois pourraient être mis en danger. Mais ils n’ont jamais fait la preuve que le recyclage de l’industrie d’armements en industrie civile ferait planer un tel danger.