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Les gens sont très sensibles à l'injustice quand il s'agit d'eux-mêmes, et beaucoup moins quand il s'agit des autres. Faire cette constatation, c'est déjà entrer dans la problématique du lançage d'alerte. Michèle Herzog n'est pas de ceux-là. Beaucoup chez nous connaissent son nom même s'ils ne la connaissent pas personnellement. Car elle s'exprime souvent par le biais de commentaires de journaux en ligne et au travers de son blog en particulier. Au début, elle disait son indignation car elle s'estimait lésée par la justice pour des questions financières liées à une succession. Mais elle n'en est pas restée là, tant s'en faut. Elle réagit à tout ce qu'elle ressent comme injuste dans notre société, tout en se limitant le plus souvent à sa région vaudoise.
Bernard Walter – Ce qui m'intéresse surtout, c'est pourquoi tu fais ça, pourquoi tu te bats contre les injustices... ce que les gens ne font pas beaucoup, en général.
Michèle Herzog – Non, c'est vrai, les gens malheureusement ne se bougent pas beaucoup. Pourtant des millions de gens ont lu le petit fascicule de Stéphane Hessel «Indignez-vous». Mais passer de la théorie à la pratique, c'est une autre affaire. Moi j'ai décidé de me bouger parce que les institutions sont fragiles. Tous devraient se mobiliser pour soutenir les institutions et soutenir la vérité. Et se battre pour la justice.
Grâce à Internet, cet outil extraordinaire, tout le monde a accès à un grand nombre d'informations. Avant, quand Internet n'existait pas, je m'occupais des gens autour de moi. J'ai toujours été sensible aux injustices, et Internet me permet de faire plus. J'ai été moi-même confrontée à la Justice pour des questions financières concernant mon héritage. Cette affaire a pour moi un côté négatif, mais elle a aussi son côté très positif, parce que cela m'a ouvert les yeux sur ce qui se passe dans notre région. Cela me permet aussi de prendre contact avec des personnes victimes d'injustices.
— Si je comprends bien, c'est une histoire personnelle qui t'a amenée à cette sorte de carrière de combattante pour plus de justice?
Oui. Comme Suissesse, j'ai toujours cru que notre justice fonctionnait mieux que dans d'autres pays. C'est ce qu'on nous fait croire. La réalité est différente. J'aurais beaucoup à dire sur ce qui m'est arrivé, je me suis ruinée pour me défendre, mais ce n'est pas là notre sujet aujourd'hui. Malgré cela, envers et contre tout, je garde ma force et mon idéal.
— Est-ce que tu peux dire en raccourci dans quels domaines et à quelles affaires tu as réagi?
J'ai un blog (hébergé par La Tribune de Genève), j'écris des articles pour faire bouger les choses, ce qui crée des débats. Par exemple à propos de l'affaire de Skander Vogt, ce jeune qu'on a laissé mourir en prison. Ou sur Leina Sadaoui dont l'enfant est restée handicapée suite à une erreur à l'accouchement, erreur reconnue par le CHUV, et qui 35 ans plus tard n'est toujours pas dédommagée de façon sérieuse. Ou bien cette lettre que je viens de recevoir, envoyée par un avocat genevois au Grand Conseil pour M. Daniel Huber, un restaurateur à qui on a volé son commerce, et qui se bat depuis des années pour que justice lui soit rendue. Ou Yasmine Motarjemi, femme courageuse, ancienne cadre chez Nestlé, victime de graves harcèlements pour avoir attiré l'attention sur des dysfonctionnements dans le domaine de la sécurité alimentaire dont elle avait la responsabilité.
— Et puis il y en a bien d'autres, la liste de tes interventions est longue... Pourtant, rien ne t'oblige à faire tout cela!
Chacun doit travailler à cet édifice très instable qui s'appelle l'Etat de droit, la démocratie; il faut le faire de manière active quand on s'aperçoit que quelque chose ne va pas.
— Quand quelque chose de choquant arrive, comme le meurtre d'Eric Garner, Noir américain, par la police, qu'est-ce qui se passe en toi?
... Je ne trouve pas les mots pour le dire... horrible, cette vidéo est horrible... cinq policiers qui s'attaquent à une personne sans défense, l'un d'entre eux l'étrangle... c'est l'horreur absolue... J'espère quand même qu'en Suisse ces policiers ne seraient pas blanchis... Dans des cas comme ça, une personne seule ne peut pas faire grand chose. Il faut que les gens se manifestent, ensemble, dans de telles situations. Mais je crois quand même qu'il existe des gens qui tout seuls ont réussi à déplacer des montagnes.
— Il reste qu'il y a pas mal de passivité dans la population.
Oui... que des gens dans la rue passent leur chemin quand quelque chose de grave arrive, c'est pour moi inconcevable.
— Bon, toi tu es un cas un peu extrême (elle rit), mais sans aller jusque là, si les citoyens réagissaient plus face aux injustices... le monde serait plus juste! Lors de la guerre du Vietnam, le cauchemar d'Henry Kissinger, ce n'était pas les bombes qu'il larguait sur le pays, mais les manifs de la rue aux Etats-Unis. D'ailleurs, des étudiants se sont faits tuer lors de leurs protestations sur les campus. On peut bien parler de liberté d'expression, il y a toujours une forme de risque dans la protestation citoyenne.
Oui c'est sûr, mais il faut être un peu courageux dans la vie. Il vaut mieux se battre que de vivre en victime.