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Décembre 2014 °
Un journalisme engagé…
Auteur : Claude Grimm

Un journalisme engagé, sans entraves autres que celles imposées par la déontologie

Que signifie être journaliste au Courrier, l’un des derniers quotidiens indépendants de Suisse? Cela revient-il au même que de travailler dans un média aux mains d’un grand groupe? Pas vraiment. Si c’est bien le même métier que l’on exerce partout, la façon de l’aborder diverge. Dans une publication indépendante, les journalistes disposent de davantage de liberté dans le choix et la manière de traiter les sujets, ainsi que d’une importante marge de manœuvre pour commenter l’actualité. En tant que journal d’opinion, Le Courrier encourage ses journalistes à prendre position, et force est de constater qu’elles sont le plus souvent à contre-courant du «mainstream médiatique» qui s’est malheureusement imposé dans la plupart des rédactions.

Grâce à sa faible dépendance face à la pub, Le Courrier peut donc se permettre de critiquer et dénoncer ce qui lui semble devoir l’être, sans craindre de perdre des annonceurs. Nous devons cependant, peut-être davantage que d’autres médias au vu de nos moyens financiers limités, prendre toutes les précautions afin de ne pas nous retrouver avec des plaintes sur le dos.

En tant que correspondante neuchâteloise, je traite la plupart des gros dossiers du canton. Face à la pléthore des sujets, il faut faire des choix, parfois douloureux. Mais certains dossiers sont incontournables.

Je me suis notamment beaucoup investie dans le dossier hospitalier, où Le Courrier a pris le contre-pied de l’ensemble de la presse, (presque) unanimement favorable à une concentration des sites d’Hôpital neuchâtelois (HNE) perçue comme «forcément» bénéfique et synonyme d’économies. Il suffit de se remémorer les attaques médiatiques dont l’ancienne conseillère d’Etat Gisèle Ory a été la cible pour avoir défendu un hôpital de soins aigus multisite, quand bien même cette option supprimait des doublons. Le Courrier a au contraire défendu une vision prenant en compte les intérêts régionaux légitimes. Comme ceux de La Chaux-de-Fonds, troisième ville de Suisse romande, de disposer d’un hôpital digne de ce nom. Rappelons que cette stratégie, même transitoire, a été approuvée par le Grand Conseil puis plébiscitée par la population en novembre 2013.

Ces prises de position à contre-courant ont permis au Courrier de bénéficier d’informations exclusives. Nous avons ainsi dénoncé à plusieurs reprises les velléités de la direction d’Hôpital neuchâtelois (HNE) d’affaiblir le site de La Chaux-de-Fonds au détriment de celui de Pourtalès, à Neuchâtel, pourtant surchargé. Nous avons aussi questionné sa position incompréhensible dans le dossier de l’ophtalmologie. Non seulement elle a empêché trois chefs successifs de développer leur service, pourtant rentable, mais elle a tenté, après leur démission, d’éviter de repourvoir les postes vacants… jusqu’à ce que les médias, Courrier en tête, dénoncent cette situation. Au final, HNE a abandonné le service d’ophtalmologie en mains privées, celles des ophtalmologues démissionnaires de l’hôpital de la Providence, avec qui HNE a conclu un partenariat. Partenariat qui, suite au recours de GSMN, est pour l’heure en panne pour ce qui est de la chirurgie ambulatoire…

Autre dossier dans lequel Le Courrier s’est beaucoup engagé: la grève de la Providence qui a débuté en novembre 2012 suite à la dénonciation de la CCT santé 21 par Genolier Swiss Medical Network (GSMN) et a duré plusieurs mois. Selon nous, ce conflit est emblématique de ce qui se passe actuellement dans le domaine de la santé avec la mise en concurrence des acteurs privé et public, alors même qu’ils ne se battent pas à armes égales. Une situation qui favorise le privé, qui se concentre sur les activités rentables, laissant tout ce qui ne l’est pas au public, contraint de s’occuper de tous les patients.

Un journal est semblable à un arbre. Pour résister, il lui faut de solides racines que l'on appelle «lecteurs»

Pascal Mourot

J’ai couvert l’évolution du conflit au jour le jour, donnant la parole à toutes les parties, et dénoncé ce qui, selon Le Courrier, devait l’être. Nous avons condamné la mascarade de vote organisée par la Providence pour – soi-disant – demander l’avis de son personnel quant à l’avenir de l’hôpital. Nous avons relevé l’attitude ambiguë du président du gouvernement Philippe Gnaegi qui, bien que médiateur dans ce conflit, s’est plié aux desiderata de la Providence dont, faut-il le rappeler, il a été membre du Conseil de fondation. Nous avons critiqué la décision du Conseil d’Etat qui a violé son propre arrêté et créé un précédent en permettant à GSMN de conserver ses missions publiques sans appliquer la CCT jusqu’à 2016. Nous avons dénoncé la démonstration de force du Procureur qui a ordonné le démontage du piquet de grève le 26 décembre 2012 à l’aube. Nous avons aussi désapprouvé les licenciements, probablement illégaux – on attend toujours que le tribunal des Prud’hommes se prononce à ce sujet! –, des 22 grévistes de la Providence! Enfin, nous avons questionné le mélange des genres de Raymond Loretan, administrateur multipliant les casquettes, dont celles, pas forcément compatibles, de président du conseil d’administration de la SSR, entreprise audiovisuelle de service public, et de président du groupe de cliniques privées Genolier.

Le Courier a indirectement aussi joué un rôle dans le sort du projet de forages gaziers que l’entreprise de prospection Celtique Energie envisageait de réaliser dans le canton. En révélant un rapport confidentiel sur les intentions cachées de la firme anglaise en matière de gaz de schiste dans l’Arc jurassien, cela a permis de lancer un mouvement de résistance qui, moins d’un an plus tard, a abouti à un moratoire de dix ans sur tout forage d’hydrocarbures.

Quand la liberté d'expression n'existe plus, c'est la liberté de pensée que l'on jette en prison.

Pascal Mourot

Si écrire pour Le Courrier est un privilège, c’est aussi accepter de ne pas être lu de manière large et de ne toucher que le cercle relativement restreint des lecteurs et abonnés – même si certains «scoop» sont repris par les autres médias et circulent dans les cercles concernés. Travailler pour Le Courrier, c’est par ailleurs admettre d’être perçu «autrement» par la profession, parfois même avec un brin de condescendance. Je me souviendrai toujours de ce journaliste qui, un jour, m’a dit: «En fait, Le Courrier est le vilain petit canard des médias.» «Parfaitement, lui ai-je répondu. Et non seulement nous en sommes fiers, mais nous pensons que ce vilain petit canard – qui dans le conte d’Andersen se transforme en magnifique cygne – est indispensable.» Car le jour où la concentration de la presse sera totale et où la pensée unique se sera imposée partout, peut-être sera-t-il déjà trop tard pour s’interroger sur le sens de notre démocratie.

Hommage à Charlie Hebdo

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