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«Le 'problème démographique' est comme un Phénix: il renaît de ses cendres à chaque génération, et parfois même chaque décennie. Les prophéties sont généralement les mêmes – soit que les humains peuplent la planète en 'nombre sans précédent' et 'dévorent ses ressources comme une invasion de sauterelles'»1.
Rédigée en 1988, cette citation de l'écologiste social Murray Bookchin se révèle encore pertinente aujourd'hui. Les adeptes de la question démographique comme cause principale de nos problèmes écologiques reviennent effectivement tous les 20 ans. Ces 50 dernières années ont ainsi vu surgir les Paul Ehrlich et Garrett Hardin (respectivement pour The Population Bomb2, 1968 et «Lifeboat Ethics, the case against helping the poor»3, 1974), puis vingt ans plus tard à la fin des années 80 l'appel de la deep ecology pour une réduction importante de la population et les propos extrémistes de certains de ses partisans4. Une nouvelle génération plus tard, le discours néo-malthusien nous revient par l'intermédiaire du Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP), faisant remarquer qu'investir dans le planning familial ferait baisser le CO2 à moindre frais qu'investir dans les énergies renouvelables5 et, plus proche de nous, l'initiative Ecopop.
Pourquoi tant d'attrait pour ces propositions, qui visent toujours l'immigration et/ou le planning familial, posant si abruptement l'équation humain= pollution, sans autre contexte que des chiffres et statistiques globaux et abstraits? L'exemple d'Ecopop l'explique facilement. Quand on considère ses propositions, on sait d'avance que l'initiative va être populaire. Pour trois raisons. 1) Elle est facilement compréhensible par tous. En posant un lien direct entre la pollution, l'épuisement des ressources et des terres à disposition et la population globale de la Suisse, elle fait écho au ras-le-bol des bouchons, du manque de logement, du bétonnage de la campagne que chacun peut observer à son niveau. 2) Elle porte le problème sur les étrangers – bouc émissaires traditionnels de la plupart des crises – et non sur les Suisses eux-mêmes. 3) Elle évite d'avoir à faire le moindre changement dans son quotidien pour résoudre un problème donné et permet de continuer à faire comme d'habitude: Business as usual.
Pourquoi dès lors aller chercher plus loin? Pourquoi essayer de comprendre les raisons qui amènent un fort taux de natalité ou poussent à émigrer? Peut-être parce qu'une analyse plus fine démontre sans peine que c'est justement parce qu'Ecopop porte la faute sur l'autre que son initiative ne résoudra rien. En réalité, elle cherche plus à faire disparaître un problème en le repoussant hors de sa vue (comprenez: de nos frontières) qu'à en chercher les causes profondes et les résoudre.
On est ainsi en droit de se demander ce que la limitation à 0,2% d'immigration changera au paysage suisse. Stabiliser la population peut-être, mais réduire le mitage du territoire ou diminuer l'appauvrissement des ressources et les émissions de CO2, on peut en douter. D'une part parce que les plus riches continueront d'obtenir sans peine leur sésame d'entrée selon toute vraisemblance et c'est ceux-là même qui consomment le plus par tête, construisent des villas et font monter les prix des loyers. Et que malgré tout, les Suisses continueront de consommer excessivement de ces mêmes ressources (on connaît les estimations: il faudrait environ trois planètes si on généralisait notre mode de vie) car rien n'est fait pour y changer.
D'autre part, et c'est là la grande hypocrisie de l'initiative Ecopop, les gens qu'on refoule hors de Suisse ne disparaissent pas une fois la frontière passée. Soit ils entreront clandestinement, et cela posera problème, soit ils iront ailleurs et auront tout autant besoin de se loger, de se nourrir et d'un emploi. Le résultat écologique est forcément nul. L'écologie se rit des frontières! Hors de ses considérations globales, l'écologie est un non-sens. Ecopop en définitive ne fait qu'utiliser un prétexte écologique pour défendre son petit pré carré nationaliste. «Allez bétonner ailleurs, mais pas chez nous» en quelque sorte.
La deuxième mesure ne vaut guère mieux. Rappelons-la: attribuer 10% de l'aide au développement pour un planning familial volontaire. Vous avez dit «volontaire»? On se demande pourtant bien qui en décidera et sur quelles bases cela sera jugé. Sera-ce le mari obligeant sa femme à avorter? Ou le maire qui encouragera les familles pour montrer des beaux chiffres de baisse et toucher ces fonds pour développer son village? Ou bien est-ce justement les mêmes scientifiques partisans de l'initiative qui décideront depuis leur petit bureau cosy combien une famille d'Afrique doit avoir d'enfants pour éviter qu'ils émigrent et viennent frapper à leur porte? Quel groupe dominant imposera-t-il sa loi, par pression psychologique ou contraintes diverses?
On se demande enfin en quoi la réduction du nombre de personnes au Sud réduira la pollution globale, compte tenu de l'empreinte écologique de ses populations comparée à la nôtre. Si l'initiative avait été un tant soit peu conséquente, elle aurait proposé une limitation des naissances… en Suisse! Après tout, un enfant né ici pollue bien plus qu'un enfant du Sud. Mais c'est sûr, la démarche aurait du coup été moins populaire… Rappelons aussi que la grande majorité de notre immigration vient des pays européens, et qu'en cela, l'aide au planning familial ne changera rien.
Analysé ainsi, on voit bien que les deux mesures de l'initiative vont au final dans un seul et même sens, celui de vouloir limiter l'immigration en Suisse, et principalement celle des pays du Sud. Que ce soit une stratégie (nationaliste et culturelle) en soi ou réellement par souci écologique (erroné dans ses fondements), on laissera aux initiants le bénéfice du doute. On ne leur pardonnera pas en revanche leur naïveté de croire qu'une réduction des naissances dans les pays du Sud réduise les émissions CO2, leur pauvreté ou l'émigration. La plupart ont déjà accès aux mesures de contraception de base et leur problème est moins les bouches à nourrir que le manque de travail, dû à l'absence d'un tissu économique local parce que leurs richesses ont constamment été accaparées par les firmes du Nord, ce qui les a empêchés de se développer. Et la Suisse en cela est en première ligne, elle qui accueille bon nombre de multinationales qui font leur richesse au Sud et viennent exonérer d'impôts leurs profits chez nous. En cela, les récentes démarches de la Déclaration de Berne pour responsabiliser ces sociétés visent plus juste qu'Ecopop.
Si tous ces messieurs, universitaires et scientifiques, prenaient le temps de sortir de leur bureau, de regarder autre chose que les chiffres froids et hors contexte pour aller voir la réalité sur le terrain, ils prendraient sans doute conscience de l'hypocrisie de leur demande. Et alors ils se battraient pour changer les choses en Suisse, pour interdire l'obsolescence programmée de nos appareils; mettre fin à la publicité qui organise un lavage de cerveau depuis notre petite enfance; apposer une lourde taxe sur le kérosène pour supprimer les vols low cost – pour le porte-monnaie, mais heavy cost en terme de CO2 –; ils lanceraient des initiatives pour réduire le nombre de voitures par familles, non le nombre d'enfants; ils limiteraient le nombre de firmes pour convertir leurs locaux en logements. Ils pourraient même aller plus loin encore et chercher à sortir nos institutions politiques de cette posture intenable et schizophrénique qui pousse d'une main à réduire la pollution et de l'autre à augmenter la croissance. Ils chercheraient à sortir d'une économie polluante qui produit pour faire acheter plutôt en fonction des besoins, en faveur d'une économie locale, basée sur la redistribution équitable des ressources. Enfin, ils laisseraient vivre les enfants du Sud et chercheraient à leur proposer un avenir professionnel, seul moyen fiable pour réduire la démographie. Etc.
Voilà au moins des propositions qui, elles, pourraient réellement se targuer d'être sociales et humanistes. Malheureusement, rien de tout ça dans Ecopop. On continue seulement à mettre la faute sur l'humain, sur l'autre, sans remettre en cause le système qui oriente nos modes de vie. Aujourd'hui, le canot de sauvetage d'Hardin prend l'eau de toute part. Plutôt que d'en changer pour un modèle plus water proof et équilibré, Ecopop propose de ramer de plus belle et de marcher sur les doigts (ou stériliser, c'est selon…) de ceux qui essaieraient d'y monter. Bel esprit.
Vincent Gerber www.ecologiesociale.ch
Auteur du livre: Murray Bookchin et l'écologie sociale
Éd. Ecosociété
1. Murray Bookchin, “The Population Myth”, in Green Perspectives, n° 8, 1988.
2. Très populaire à l'époque, l'essai de Paul Ehrlich prévoyait une forme d'apocalypse en l'an 2000 quand l'humanité atteindrait 7 milliards d'individus. Il montrait pleinement la croissance démographique comme source des problèmes écologiques et envisageait la stérilisation forcée comme mesure possible pour y remédier. L'ouvrage se montre aujourd'hui bien dépassé.
3. L'article de Garrett Hardin présentait les pays occidentaux comme un canot de sauvetage – plein, cela va de soi – flottant au milieu d'une mer de pauvres. Il plaide pour le contrôle des naissances et une suspension de l'aide alimentaire des Etats-Unis aux pays pauvres – version à peine plus radicale que l'initiative Ecopop – sous prétexte que «notre survie l'exige».
4. On citera les deux représentants d'Earth First!, Christopher Manes, alias Miss Ann Thropy: «Pour paraphraser Voltaire: si l'épidémie de Sida n'existait pas, les environnementalistes radicaux devraient en inventer une.», et Dave Foreman prétextant d'empêcher l'immigration mexicaine aux Etats-Unis et de ne pas donner de l'aide en Ethiopie durant la famine «pour laisser la nature trouver son propre équilibre».
5. Le FNUAP s'appuyait sur l'étude de Thomas Wire, «Fewer Emitters, lower emissions, less cost – reducing future carbon emissions by investing in family planning», LSE, London, 2009. Mais les résultats auxquels arrive le chercheur sont biaisés, car l'étude occulte complètement les entraves culturelles au planning familial – tout en admettant leur existence et leur importance vis-à-vis du coût – et calcule les réductions de CO2 et le coût final comme si toutes les grossesses non voulues étaient éliminées dès 2009. Il en ressort des chiffres sans lien avec la réalité. Mais, financée, par le think tank anglais Optimum Population Trust – renommé depuis Population Matters – l'étude arrive à la conclusion exacte que celui-ci désire.