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Décembre 2012
L’État-nation, comme rempart…
Auteur : Pierre Lehmann

L’État-nation, rempart contre la libéralisation/mondialisation

La libéralisation est un processus qui consiste, en particulier, à transférer des biens publics à des sociétés privées (exemple: PTT donnés à Swisscom) et la mondialisation consiste, pour l'essentiel, à généraliser ce processus et à promouvoir la mainmise de la finance sur le monde.

L'État doit être un garant et non un gérant. Il est un rempart nécessaire pour éviter une culture uniformisée et soumise aux réalités économiques.

- Jacques Chirac

Sans prétendre connaître l'évolution des sociétés humaines depuis la préhistoire, on peut penser, et c'est ce qui est généralement admis, qu'elles ont commencé par vivre en tribus, c'est-à-dire en groupes adaptés à un environnement relativement restreint. Dans une collectivité pas trop grande, les gens se connaissent et peuvent s'entendre pour assurer le fonctionnement de l'ensemble sans qu'une structure de pouvoir soit absolument nécessaire pour cela. Le point important est ici que l'organisation d'une société dépend fortement du nombre de personnes qui la compose.

Lorsque ce nombre augmente, l'évolution de la société peut suivre deux schémas opposés. Le plus courant est celui qui mène à l'État-nation, après passage éventuel par la royauté et autres structures impérialistes. La société devient de plus en plus complexe et les individus de moins en moins polyvalents. Chacun est censé avoir un métier, une profession, qui s'inscrit dans l'ensemble des activités jugées utiles pour le bon fonctionnement de la société. L'ensemble est géré tant bien que mal par des hiérarchies de pouvoir plus ou moins autoritaires. Cela va de la démocratie à la dictature, l'État étant en quelque sorte l'enveloppe de différentes formes d'autorités avec leurs présidents, préfets, chefs, directeurs et autres CEO. Aujourd'hui, la structure étatique s'est imposée presque à l'ensemble de l'humanité et les sociétés qui ont réussi à éviter ce schéma sont considérées comme «sous-développées», comme si l'État était la seule possibilité de vivre en société de manière constructive, utile et agréable.

Une autre évolution possible, ou tout au moins imaginable, aurait été que l'humanité se répartisse en une mosaïque de petites sociétés indépendantes en interaction réciproque et sans structures de pouvoir institutionnalisées. Les hiérarchies éventuelles auraient été la conséquence temporaire de la compétence, de l'autorité naturelle, voire du charisme de certaines personnes reconnues être mieux à même d'œuvrer pour l'intérêt général. De telles personnes peuvent être investies d'une certaine responsabilité et d'un pouvoir décisionnel temporaire dans l'exécution de tâches jugées nécessaires au bon fonctionnement et au bien-être de la collectivité. Une fois la tâche accomplie ou transmise à un autre, ces personnes redeviennent des citoyens ordinaires. C'est un peu la vision des anarchistes. Il n'y a de pouvoir que temporaire et lié à un projet d'intérêt général.

Une telle société semble à première vue plus conviviale que l'État mais supposerait, selon ses critiques, que l'homme soit intrinsèquement bon. C'est ce qui a fait dire à l'anarchiste américain Karl Hess: «L'anarchiste pense que dans l'ensemble l'homme est un peu plus bon que mauvais. Mais que l'homme soit en fait bon ou mauvais, l'État-nation est une abomination» (Karl Hess. Petit traité du bonheur et de la résistance fiscale, Editions Xenia, 2009).

L'État, quoi qu'on en dise et quoi qu'on fasse, n'est, ni ne
sera jamais la même chose que l'universalité des citoyens.

- Pierre Joseph Proudhon

Même si l'État remplit incontestablement des tâches utiles à la collectivité, il est bien obligé de limiter la liberté des gens et de donner une certaine autorité à des technocrates dont le domaine de compétence est défini par des lois et des règlements sur lesquels le citoyen n'a guère eu d'influence. Il en résulte inévitablement des confrontations qui opposent le bon sens à l'application intransigeante ou trop pointilleuse des règlements. Ce genre de difficultés est inhérent à tout système qui prétend s'appliquer de manière uniforme à un territoire suffisamment grand pour comporter des différences notoires dans ses caractéristiques territoriales et climatiques ou dans ses traditions sociales, religieuses et ethniques.

Avec la mondialisation, on tend vers une uniformisation de l'humanité. Cette tendance est relayée, en particulier, par l'Union européenne avec les conséquences qui se sont manifestées récemment en Grèce, en Espagne et ailleurs. Plus le pouvoir est éloigné des citoyens, plus il craint la diversité. Plutôt que de se faire le relai de cette uniformisation, l'État devrait s'en protéger. Si la biodiversité est le propre d'une nature en bonne santé, l'humanodiversité est celui d'une humanité viable. C'est pourtant cela que la mondialisation/libéralisation s'acharne à détruire.

L'État-nation devrait être le dernier rempart contre la réduction de l'humanité à un troupeau docile destiné à satisfaire les exigences de l'économie et de la finance. Mais ce n'est pas ce qu'il fait aujourd'hui. Il cherche plutôt à entraîner les populations dans l'illusion mondialiste. Le profit et l'augmentation du PNB ne font pas le bonheur des gens. L'État devrait être le garant des spécificités de ses populations et non pas le rouage par lequel la société sera soumise à la finance et les citoyens coulés dans le même moule, formés à avoir les mêmes aspirations, et suffisamment crétinisés pour suivre les yeux fermés le programme du développement durable.

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