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Isabelle Probst est psychologue sociale de formation.
Elle a soutenu à l'Université de Lausanne une thèse de
doctorat concernant la reconnaissance des TMS comme
maladies professionnelles. Actuellement chercheuse invitée
au Conservatoire national des arts et métiers (Paris), elle mène
une recherche sur les conséquences des horaires atypiques sur
la santé et la qualité de vie.
Une «épidémie» qui n'a rien d'une fatalité
Tendinites, épicondylites, syndromes du canal carpien, mais aussi douleurs sans diagnostic précis, dans les épaules, la nuque ou les bras… ces maladies que l'on appelle troubles musculo-squelettiques ou TMS sont parmi les plus fréquentes causées par l'activité professionnelle. En témoignent les résultats suisses de l'Enquête européenne sur les conditions de travail de 2005: 14% des travailleurs et 12% des travailleuses interrogé·e·s disent souffrir, à cause de leur travail, de douleurs dans les épaules, la nuque ou les membres (1).
A l'instar des cancers, des maladies cardio-vasculaires ou d'autres pathologies liées au travail, les TMS ont plusieurs types de causes: à côté des facteurs professionnels, on trouve aussi des facteurs dits personnels, comme des maladies associées, le vieillissement, etc. C'est pourquoi il est ardu de connaître et faire reconnaître l'impact des conditions de travail dans leur survenue. Malgré cette difficulté, les études scientifiques s'accordent de plus en plus sur le rôle des mouvements répétitifs, du port de charges et des postures forcées(2). Outre ces contraintes physiques (qui sont loin de disparaître dans le monde du travail actuel), le stress et le manque d'autonomie sont des facteurs majeurs de TMS. Ainsi, l'accélération des rythmes, la suppression des pauses ou le fait de se sentir sans cesse mis sous pression accroissent considérablement le risque de TMS. En conséquence, bien que les entreprises procèdent parfois à des améliorations au niveau des outils ou des postes (par exemple, des sièges plus adaptés, des claviers dit «ergonomiques», etc.), celles-ci ont peu d'effets dans un contexte où la recherche d'une rentabilité croissante conduit à une intensification du travail.
Des maladies rarement reconnues
En Suisse, il est rare que les TMS soient considérés comme «maladies professionnelles», c'est-à-dire recensés et indemnisés par les assurances-accidents au même titre que les accidents du travail. En 2009, seuls 429 cas de TMS (17% de femmes) ont été reconnus comme maladies professionnelles sur une population assurée de plus de 4,2 millions de personnes (45% de femmes)(3).
Plusieurs éléments expliquent cette faible reconnaissance. Tout d'abord, la définition légale des maladies professionnelles est très restrictive dans le droit suisse et les assureurs ont durci leur interprétation de la loi au cours des vingt dernières années(4). Par ailleurs, dans le cadre de ma recherche de thèse, j'ai pu constater un climat général de démobilisation sur le thème des maladies professionnelles. Alors que les salarié-e-s hésitent souvent, par crainte de retombées négatives, à évoquer des problèmes de santé auprès de leur hiérarchie, les syndicats se montrent peu actifs sur le thème de la santé au travail. De leur côté, nombre de médecins dissuadent leurs patient-e-s de s'annoncer aux assurances-accidents, estimant que les procédures ont trop peu de chances d'aboutir(5). Outre que cette estimation est pessimiste (60% des cas de TMS déclarés sont acceptés), c'est aussi un rôle de recensement des risques professionnels qui est négligé. Enfin, plusieurs spécialistes de la santé au travail m'ont dit qu'une reconnaissance accrue de la part des assurances n'était pas prioritaire à leurs yeux, parce qu'elle n'améliorerait pas la protection de la santé, celle-ci constituant déjà, selon la Loi sur le travail, une obligation des employeurs (est-il nécessaire de préciser que cette dernière reste souvent lettre morte?).
Reconnaître les maladies professionnelles pour prévenir vraiment les TMS
Les entretiens que j'ai menés avec des ouvrières et ouvriers souffrant de TMS montrent au contraire que reconnaissance des maladies professionnelles et protection de la santé sont étroitement liées. En effet, reconnaître une maladie professionnelle ne signifie pas seulement octroyer des prestations d'assurance favorables à la personne concernée. C'est aussi reconnaître socialement le rôle du travail dans la survenue des TMS et éviter d'en faire un problème privé: ce n'est pas parce que les travailleurs-euses sont âgé-e-s, fragiles ou trop sensibles à la douleur qu'ils /·elles développent des TMS, mais avant tout parce que leurs conditions de travail sont nocives. Une reconnaissance accrue des maladies professionnelles donnerait ainsi de la légitimité aux revendications des salarié-e-s concernant leurs conditions de travail (pas seulement les outils, mais aussi les effectifs, cadences, marges de manœuvre…) et favoriserait des mobilisations collectives permettant d'améliorer réellement la santé au travail.
(2) Bourgeois F., Lemarchand C., Hubault F., Brun C., Polin A., Faucheux J.-M., et al. (Eds.). (2007). Troubles musculo-squelettiques et travail: quand la santé interroge l'organisation. Lyon: ANACT.
(3) Données du Service de centralisation des statistiques de l'assurance-accidents. Voir aussi: www.unfallstatistik.ch
(4) Voir: Probst I. (2009). La dimension de genre dans la reconnaissance des TMS comme maladies professionnelles. PISTES, 11(2). www.pistes.uqam.ca
(5) Voir aussi: Chiarini B. & Chouanière D. (2010). Etude préliminaire sur les perceptions et pratiques en matière de santé au travail des médecins romands et leurs attentes vis-à-vis des services IST. Lausanne: Institut universitaire romand de Santé au Travail.