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Avril 2009 °
Une non-défense nationale
Auteur : Pierre Lehmann


Défense nationale et armée semblent indissociables. Pourtant, si l'on veut aller vers un monde de paix, il est indispensable de mettre ce tabou en question. Est-il raisonnable d'admettre que la paix, une vraie paix et pas seulement un état de non-belligérance, puisse résulter d'une militarisation toujours accrue? Est-il concevable que des Etats qui s'épuisent à produire des armements toujours plus sophistiqués, destructeurs et coûteux, servi par des armées de plus en plus professionnelles, puissent, ne serait-ce que concevoir un monde en paix?

Il n'est pas inutile de rappeler ici que Gandhi a pu débarrasser l'Inde de la domination anglaise sans recourir à des armes et des soldats. Gandhi ne portait pas d'uniforme et n'était pas nanti d'un pouvoir institutionnalisé. Cet exemple montre que la défense d'un pays peut aussi se concevoir sans armée. Mais cela implique un changement de paradigme, un refus de se soumettre aux ordres, de porter un uniforme.

L'uniforme et les grades et décorations qui vont avec sont le propre d'une hiérarchie de pouvoir. La personne en uniforme est soumise à un code d'obéissance. Elle doit obéit inconditionnellement, sans chercher à comprendre. Cela est indispensable pour qu'une armée puisse fonctionner comme l'entendent ceux qui la dirigent. Si les soldats se mettaient à discuter les ordres, à les mettre en question ou de les modifier avant de les exécuter, l'armée cesserait d'exister en tant que telle

L'uniforme rend irresponsable. On obéit aux ordres. La personne qui tue en service commandé reçoit une décoration, celle qui tue dans la vie civile va en prison, L'uniforme supprime dans une certaine mesure la personnalité. Fred Hoyle, physicien, cosmologiste et écrivain marquant du XXe siècle, raconte à ce sujet une anecdote illustrative (Fred Hoyle, Foreword (préambule) de «The Intelligent Universe»,Michael Joseph, 1983): Son père était mitrailleur pendant la Première Guerre mondiale. Au cours de l'énorme attaque de Ludendorff du 21 mars 1918, son poste de mitrailleur a été renversé et laissé loin derrière les lignes allemandes, si bien qu'il s'est trouvé isolé en territoire ennemi. Sa pire crainte fut alors de se trouver confronté à un soldat allemand solitaire et qu'en l'absence de moyen de communiquer il en serait réduit à se battre à mort avec lui. Ce  n'est que plus tard que Fred Hoyle a trouvé la solution au problème de son père  enlever son casque. Si le soldat allemand a la présence d'esprit de faire la même chose, l'un et l'autre se rendront compte que cachés par leur uniforme ils sont en fait de la même espèce, presque aussi semblables «que deux pois dans une même gousse». Depuis, Hoyle est resté convaincu que ce ne sont pas les bombes, les fusils et les avions qui rendent les guerres possibles, mais les uniformes, les képis et les casques.

Par ailleurs, il y a le risque que le pouvoir envisage l'utilisation de l'armée à des fins de maintien de l'ordre, à la limite contre ses propres citoyens. Cela s'est déjà produit. C'est un mélange des genres inquiétant. D'utiliser une armée dans des zones habitées aboutit à des massacres comme ceux perpétrés récemment par Israël à Gaza. Et il n'y a pas que Gaza. D'autres conflits récents se sont déroulés en zone urbaine avec des armées utilisant des avions et des chars: Beirouth, Grozny, Abidjan (voir à ce sujet: «Comment les armées se préparent au combat urbain», Le Monde Diplomatique, mars 2009). En fait, la guerre entre Etats, si elle devait se produire, risque fort de se faire à l'aide de missiles. Et que fera alors une armée?

L'utilisation d'une armée pour lutter contre le terrorisme aboutit à des catastrophes humanitaires comme l'a montré l'administration Bush en embourbant les Etats-Unis en Irak et en Afghanistan moyennant des coûts astronomiques. Une armée ne peut pas se maintenir très longtemps dans un pays qui ne veut pas d'elle. Cela a été démontré, entre autres, au Vietnam. Mais la leçon n'a pas suffi.

Mais le pouvoir continue imperturbablement à maintenir une armée. On peut se demander pourquoi. A mon avis, essentiellement pour asseoir son autorité. Dans une certaine mesure, la police joue aussi ce rôle. Le pouvoir a besoin de moyens de contrainte.

Pourquoi ne pas renoncer à l'armée et jouet la carte de la paix? Le problème est que les pouvoirs y seront toujours opposés et c'est donc eux qu'il faudrait abolir. Le pouvoir est un mauvais moyen pour gérer les sociétés humaines.




A propos d'Ueli Maurer

«… J'ai peu de choses à dire sur le conseiller fédéral Ueli Maurer car je l'ai très peu côtoyé. Lorsque la commission de sécurité s'est rendue en janvier dernier au WEF à Davos, il n'est pas venu. Ce qui est étrange alors que l'utilisation de l'armée à cette occasion suscite toujours des réticences. Pour sa première commission de sécurité, il est arrivé avec sa casquette de partisan en voulant essayer d'infléchir d'emblée tout le monde. C'était une attitude totalement inadéquate. Mais il a très vite fait profil bas et on a pu continuer nos travaux sur de meilleures bases. Cependant, j'ai l'impression qu'il endosse la tenue de conseiller fédéral, membre d'un gouvernement, sans trop y croire lui-même. Il joue au bon écolier».
Gisèle Ory, conseillère aux Etats, L'Impartial, 4 avril 2009

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