Tiré du livre Nous appartenons à la terre
Ouvrage paru en l992 pour la traduction
chez Desclée de Brouwer
A qui donner la parole sinon à ceux qui ont vécu des décennies de tragédies dans leur chair. Ainsi ces pages d'Elias Chacour, ce prêtre melkite né en 1939 à Biram en Palestine et qui, en 1990, termine son livre par un drame familial alors qu'il est appelé au chevet de son père Mikhail Chacour. Ce père vénéré, âgé de plus de 90 ans, qui toute sa vie avait prôné le pardon: «ces pauvres Juifs qui ont tant souffert en Europe» et qui, dans les derniers mois de sa vie, l'esprit égaré, revit dans son délire ce que lui et les siens avaient subi en 1948, chassés de leur village par les soldats de la Hagannah et de l'Irgoun.
Après trois mois d'errance dans la maison d'un de ses fils dont il ne reconnaît plus les lieux, affaibli, mais apaisé, il pourra s'éteindre en disant au revoir aux siens. Mais écoutons Elias Chacour!
«En surveillant mon père tandis qu'il revivait cette horrible expérience, je me demandais ce qui pouvait bien se passer dans le cœur et dans l'esprit des habitants de la Palestine occupée qui sont systématiquement harcelés, blessés, torturés et mutilés par les soldats juifs israéliens. Si mon père, à l'âge de quatre-vingt-dix ans pouvait être si profondément affecté par une tragédie qui s'était déroulée quarante ans plus tôt, que pouvaient ressentir et penser des enfants palestiniens et des jeunes gens d'aujourd'hui il y a vingt, trente ou quarante ans? Quelle conduite enseigneraient-ils à leurs enfants? Seront-ils tous comme mon père qui disait sans cesse à ses enfants: «Ne faites pas ce que les soldats juifs vous font. C'est mal. Jamais Dieu ne persécute ni ne torture, Dieu ne hait pas le pauvre et Dieu ne tue pas. Dieu nous aime. Dieu est avec les opprimés, il souffre avec eux et il se tient à leurs côtés en vue de leur délivrance.»
... Comment pourrait-on réparer l'injustice dont le peuple palestinien est victime? L'injustice palestinienne, comme d'autres dans le monde, se déroule actuellement. Aurons-nous le courage de reconnaître que les Palestiniens souffrent en tant que victimes des enfants des martyrs des camps de concentration? Si nous n'osons l'affirmer directement, disons au moins qu'ils sont les victimes de la mentalité post-holocauste du monde juif et du monde chrétien occidental. Quelles réparations, quels ajustements peut-on faire pour mettre un terme à l'injustice et permettre un nouveau commencement?
... Nombreux sont les Juifs, les Palestiniens, ainsi que d'autres personnes concernées par ce problème, qui pensent que la seule solution réalisable et concevable consisterait à créer, sur une partie de la Palestine originelle, un Etat palestinien qui existerait côte à côte avec Israël. En d'autres termes, la maison palestinienne détruite doit être reconstruite sans pour autant détruire celle des Israéliens. En tout problème, la bonne solution, c'est toujours celle où les deux parties font des concessions et parfois des concessions importantes.... Une solution par laquelle l'une des parties est satisfaite tandis que l'autre est frustrée ne fait que préparer une explosion future encore plus grande.
Nous, Palestiniens et Juifs, vivons dans ce que le monde appelle la Terre-Sainte, mais qu'est-ce qui fait que cette terre est sainte? Est-ce que ce sont les pierres ou les arbres? Les églises? Les sanctuaires? Les sentiers sur lesquels les patriarches et notre Seigneur Jésus ont marché? Ou bien la terre ne serait-elle pas plutôt sanctifiée par ce que nous faisons pour y rendre Dieu présent?»
D'une tragique actualité, ces extraits des pages 240 et 241 de l'autobiographie d'un prêtre palestinien d'Israël qui, depuis l965, dans sa paroisse d'Ibillin, s'est battu pacifiquement pour créer des écoles, aider à instaurer plus de justice et lutter contre toute haine.