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Février 2016
Qui, quand, quoi, où ?
Auteur : Edith Samba

Je dois reconnaître que cette notion de décroissance m’interpelle depuis longtemps et me laisse toujours aussi perplexe. En effet, par où commencer, vers quel niveau d’équilibre souhaitons-nous tendre? Vu l’extraordinaire complexité du monde, des situations aussi bien individuelles, locales qu’intercontinentales, comment s’y prendre intelligemment, sans tomber dans une nouvelle dictature? Imaginer pouvoir petit à petit transférer l’énergie utilisée actuellement en énergie dite propre, réduire globalement cette consommation et les déchets s’y afférents est une belle démarche, mais n’est-ce pas déjà très tard? Tant de solutions jugées géniales un jour s’avèrent opérations nulles ou pire encore, après quelques années d’usage.

Même si quelques sceptiques invétérés le contestent, la grande majorité est d’accord pour estimer que la société occidentalisée, et donc chacun d’entre nous, doit envisager d’entrer dans de multiples projets de réduction de la pression extractrice sur les ressources de la planète. Mille propositions sont avancées, pratiquées, mais aussi mille interrogations, mille inquiétudes accompagnent évidemment ces réflexions. Chacun s’installe dans quelques démarches et écarte celles qui ne lui conviennent pas. L’écologie, la décroissance en libre-service, selon sa sensibilité, son goût et sa réalité, me donne à penser qu’on s’offre une conscience allégée à très bon compte et que pour le reste, la fatalité est de mise.

Aussi, par où commercer? Il y a déjà de nombreuses années que la prise de conscience s’est mise en route, mais curieusement l’achat de véhicules 4x4 a explosé, sans parler des couacs du diesel, de même que la consommation d’électricité, de gadgets, d’emballages. L’obsolescence programmée a reculé d’une année mais maintenant il se produit des appareils impossibles à réparer.

J’observe que le citoyen est mis à rude contribution, avec une part de ses impôts, une taxe déchets plus une taxe au sac, tout en faisant lui-même le tri. Là-dessus s’ajoutent le transport à ses frais, le temps supplémentaire engagé, en particulier pour comprendre et décoder les innombrables procédures, suivant l’endroit où il vit, le type de déchetterie de sa zone et l’âge du capitaine. Je n’entrerai plus avant sur la charge de travail supplémentaire, l’espace disponible pour gérer le tout, pensant en particulier aux personnes âges, fragiles et/ou sans véhicule à qui rien ou presque n’est proposé. Parallèlement les magasins ne s’épuisent pas à mettre des solutions à disposition, les entreprises n’allègent pas vraiment leurs emballages et le goût pour la récupération est encore marginal.

Si tu ne peux pas participer à la lutte, tu participeras obligatoirement à la défaite! Bertolt Brecht

Le domaine devient aussi le royaume des inventions saugrenues, des idées délirantes, des solutions exorbitantes, des escroqueries de tous poils. Le catalogue est interminable, à titre d’exemple: les voitures hybrides tellement chères à construire et dont on n’amortira jamais le surcoût, toutes les terres rares nécessaires et bientôt introuvables pour fabriquer une foule de produits de robotique, les conditions de maltraitance pour les construire dans des ateliers de misère, les toilettes sèches peu appropriés dans les HLM ou autres contextes, etc. On entend des propositions terrifiantes comme une réduction drastique de la population mondiale, l’abandon de l’usage de l’électricité. On comprend de fait l’inquiétude de ceux qui y voient le retour aux temps des cavernes, et on préfère ne pas approfondir la méthode à choisir pour réduire la population. Au nom de quoi et de qui? Peut-être quelques bonnes guerres ou de joyeuses épidémies pour faire le boulot, à entendre quelques joyeux drilles?

Pour illustrer quelques doutes, on peut prendre comme exemple le charbon. On sait qu’il est le plus polluant de toutes les sources fossiles, une tonne libère 3,5 tonnes de gaz carbonique, à comparer avec les 2,7 du pétrole et les 2,3 du gaz. La Chine, l’Australie, la Pologne et l’essentiel des pays émergents l’utilisent majoritairement et il a retrouvé une place privilégiée en Allemagne tout récemment. Pour tenir les fameux 2 degrés, il faudrait que tous ces pays réduisent leur consommation de 70 à 90% dans un très proche avenir. Vous reprendrez bien un bon bol d’utopie, n’est-ce-pas? Une optimiste modérée de mon espèce est convaincue que le fait de pratiquer intensivement la méthode Coué, accompagnée de nos mille petits gestes éco-quotidiens, ne va pas suffire pour encourager les possédants à prendre de judicieuses décisions, comme de se convertir aux vertus de l’honnêteté marchande. Il n’y a qu’à observer la manière de calculer la fameuse «taxe carbone», peu convaincante à tout égard, en délocalisant les entreprises polluantes sous d’autres cieux, en échange de quelques jeunes pousses de bégonias, charmants mais pas très nourrissants, plantées en terre inhospitalière…

En réalité, le plus grand nombre est appelé à se mettre en état de résistance permanente face aux modes de fonctionnements économiques, financiers, industriels, publicitaires, en particulier face aux méthodes de manipulation, séduisantes par définition, mais dangereuses, voir incohérentes dans leurs buts. On comprend bien que ce n’est pas follement enthousiasmant comme projet de société à adresser aux nouvelles générations, mais on ose penser qu’elles sont et seront suffisamment éclairées pour comprendre qu’on ne doit jamais rater une occasion de bien réfléchir et de se documenter avant d’agir. La démarche est malgré tout passionnante, mais la prudence reste la mère des vertus. Serons-nous par contre capables de sortir de notre zone de confort, telle est une des grandes questions des temps modernes…

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