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Octobre 2015
Les étrangers dans la Bible
Auteur : Pierre Bühler

Les étrangers dans la Bible – Quelques observations et interpellations

Une réalité omniprésente

Soulignons-le d’emblée: la Bible tout entière est placée sous le signe de l’exil et de l’exode, des départs, des passages de frontières, de l’émigration et de l’immigration, et donc de la rencontre de l’étranger. Depuis qu’ils ont été expulsés du havre d’Eden, les humains doivent partir et repartir, sur une terre plus ou moins inhospitalière, en route avec un Dieu qui les entraîne dans des périples incessants. «Mon père était un Araméen errant. Il est descendu en Egypte, où il a vécu en émigré…»: c’est ces mots qui introduisent l’énoncé des racines du peuple d’Israël, au moment de déposer devant Dieu les prémices de la récolte (Dt 26, 5).

Les figures d’émigration et d’immigration, d’exils et d’exodes, qu’il faudrait évoquer sont multiples: Abraham appelé à tout quitter; Jacob fuyant au loin, puis revenant avec toute sa famille; Joseph vendu à des commerçants étrangers, puis devenu intendant du pharaon; la servitude du peuple en Egypte et sa libération dans l’exode à travers le désert, puis l’immigration dans cette terre «trop promise», encore déchirée aujourd’hui par trop de déracinements; des femmes aussi, luttant avec leurs destins d’étrangère, comme Ruth ou Esther; Jésus lui-même qui, déjà comme nouveau-né, doit partir en exil avec ses parents; etc.

Des tensions et des ambiguïtés

Mais il n’est pas possible d’extraire de la Bible des principes simples ou des commandements applicables directement. Concernant la migration, la Bible est traversée par des tensions et des ambiguïtés, proches des nôtres. Les immigrés peuvent être considérés comme un danger, une menace, et devenir victimes de l’exclusion, du rejet; ailleurs, ils sont accueillis, respectés, parce qu’ils représentent une chance, une promesse. Ce clivage peut parfois même se manifester à l’intérieur d’un seul et même livre (on pourra ainsi comparer Deutéronome 5 et Deutéronome 7, par exemple!). La Bible connaît donc aussi bien une éthique de l’accueil et de l’ouverture que des dérives xénophobes et des revendications exclusives de pureté ethnique. Ces ambiguïtés, qui soulignent le caractère humain, trop humain de la Bible, font d’elle un miroir qui nous révèle aussi à nous-mêmes: en travaillant sur ses tensions et ambiguïtés, il devient possible de reconnaître, d’assumer nos propres tensions et ambiguïtés, au lieu de devoir les renier.

«Tu aimeras l’émigré comme toi-même»

A cet égard, il est frappant de voir que c’est en nous rappelant d’abord notre propre condition d’étranger que la Bible nous interpelle. C’est à partir de là seulement que l’accueil des étrangers prend tout son sens. Le texte de Lévitique 19, 33-34 fait très clairement ce lien: «Quand un émigré viendra s’installer chez toi, dans votre pays, vous ne l’exploiterez pas; cet émigré installé chez vous, vous le traiterez comme un indigène, comme l’un de vous; tu l’aimeras comme toi-même, car vous-mêmes avez été des émigrés dans le pays d’Egypte.»

Ce texte est intéressant: nous nous souvenons du commandement «Tu aimeras ton prochain comme toi-même», et ici, c’est l’émigré qu’il faut aimer comme soi-même, ce qui donne soudain à ce «comme soi-même» une toute nouvelle dimension!

«Hors-les-murs»

Dans le Nouveau Testament, l’épître aux Hébreux opère le même mouvement. Evoquant implicitement l’accueil par Abraham de ses trois visiteurs dans Genèse 18, elle nous appelle à l’hospitalité: «N’oubliez pas l’hospitalité, car, grâce à elle, certains, sans le savoir, ont accueilli des anges.» (He 13, 2) Bel appel à s’ouvrir aux surprises de l’hospitalité!

Cette hospitalité s’inscrit dans la conscience très claire que «nous n’avons pas ici-bas de cité permanente» (He 13, 14), que nous sommes tous des „étrangers et voyageurs sur la terre“ (11, 13). Cette citoyenneté nomade, pérégrinante, des chrétiens est fondée dans leur foi en Jésus-Christ. En effet, comme le souligne l’épître aux Hébreux, ce dernier est mort en dehors de la porte d’enceinte de la ville, en dehors des fortifications de Jérusalem. Extra muros, «hors-les-murs», pourrait-on dire. Et c’est pourquoi l’épître exhorte ses lecteurs: „Sortons donc à sa rencontre en dehors du camp“ (13, 12-13).

A l’heure où l’on construit un peu partout d’horribles murs (le dernier en date est entre la Hongrie et la Serbie, une honteuse manière de refouler les rescapés de la guerre en Syrie!), il vaut la peine de souligner que Jésus-Christ nous est annoncé ici comme étant «hors-les-murs». Comme le peuple d’Israël à Jéricho (Josué 6), nous sommes appelés à faire tomber les murs, et non à les ériger!

Le souci des petits

Dans son appel à aimer le prochain comme soi-même, Jésus refuse toute restriction à un groupe de personnes. Cela vaut pour tous, et radicalisant son appel, il y inclut même les ennemis (Matthieu 5, 44), cassant tous les clivages possibles. Mais c’est surtout aussi tous les petits, les laissés pour compte, les exclus, qu’il appelle à respecter et à aimer: «Gardez-vous de mépriser aucun de ces petits, car, je vous le dis, aux cieux leurs anges se tiennent sans cesse en présence de mon Père qui est aux cieux.» (Matthieu 18, 10). Cela vaut aussi pour tous les échoués, les déracinés, les persécutés qui nous arrivent ces derniers temps par milliers aux portes de l’Europe, qui peine à trouver une véritable politique d’accueil. Cela vaut aussi pour le petit Aylan Kurdi, enfant de réfugié tombé d’une embarcation en train de sombrer dans la Méditerranée et retrouvé noyé sur une plage turque…

Pierre Bühler, théologien,
Neuchâtel/Zurich

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