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Août 2015
Chaos organisé
Auteur : Edith Samba

Pour faire simple et écarter les subtilités historiques, on peut prétendre que jusqu’à la chute du Mur en 1989, deux camps s’opposaient, capitalisme et communisme, chacun voulant convaincre qu’il était plus à l’écoute de son peuple que l’autre, plus fort, mieux équipé, bref le meilleur… Les nuances étaient de taille et multiples. Chez l’un, l’individu était prioritaire, chez l’autre, le collectif primait, et beaucoup de différences pratiques en découlaient. Chacun se disait libre, prêtant à l’autre les pires projets, alors que tout bien soupesé et très schématiquement, on n’était pas loin du bonnet blanc et blanc bonnet. Depuis cette fameuse chute, le capitalisme n’avait plus d’adversaires à convaincre: en d’autres termes, s’émancipait un néocapitalisme avec les coudées totalement franches sur l’entier de la planète.

Dès les années 90, il restait à mettre les politiques récalcitrants sous la botte. Ainsi ont commencé les propositions d’accords du GATT, renvoyées à leurs chères études grâce, en particulier, aux manifestants de Seattle. Par la suite, ce sont les accords AMI, puis AGCS, accord général du commerce des services, qui ont tenté d’entrer en force par les diagonales. D’ailleurs, même s’ils n’ont pas été signés, on en sent déjà les tendances, puisque nombre de services publics glissent dans l’escarcelle de l’économie privée, avec l’accord de la majorité politique qui, soit joue à l’andouille, soit fait le jeu des grandes entreprises et encourage ce genre d’exercice, sans se rendre compte qu’elle enterre à terme sa propre fonction gouvernementale.

Aujourd’hui, ce sont les accords TISA / TIPP (Trade in Services Agreement / Accord sur le commerce des services) qui montent à l’assaut pour laisser l’économie, de fait les multinationales, faire librement son commerce, sans contraintes d’aucune sorte. Les forces politiques ne seraient cantonnées qu’à entretenir routes, ports et rails, faciliter en priorité le transport des marchandises, aplanir toutes difficultés légales et envoyer l’armée quand le peuple résiste à la servitude. Cela sous-entend, à terme, ne plus pouvoir résister aux multiples empoisonnements qui imprègnent notre nourriture, garder des graines non-OGM pour l’année suivante, se soigner directement par les plantes, bref l’instauration de la dictature du marché dans toute sa grâce. N’oublions pas que consommer bon marché est aussi une façon de favoriser l’esclavage: on devrait s’en rappeler à chaque acte d’achat.

Le capitalisme est un monstre à deux têtes: la banque et le patronat.
Olivier Besancenot

Par la bande, on pressent une réminiscence de l’époque aristocratique composée de nantis, anciens et nouveaux, prêts à considérer l’écologie comme un boulevard de rêve pour pratiquer, avec bonheur, la loi de la jungle. D’ailleurs Warren Buffet l’a clairement dit: «Aujourd’hui, on vit une guerre des riches contre les pauvres, et nous sommes en train de la gagner». A voir l’acharnement des tenants du libéralisme à baisser la fiscalité des entreprises, à jeter le doute avec l’argument classique et impérissable des abus à l’égard des chômeurs, des demandeurs d’aide sociale, des migrants, des malades physiques et/ou psychiques, a quelque chose de littéralement indécent. Tous les indicateurs prouvent que l’austérité, l’appauvrissement de la classe moyenne sont de mauvais calculs sur le long terme. Les multiples incohérences du système se constatent partout: l’attitude de l’Europe avec la Grèce, les encouragements à la voir s’armer jusqu’aux dents à l’époque contre la Turquie, à organiser des jeux olympiques, ont grandement aggravé sa dette. Les cadres de Goldman Sachs et autres petits malins, qui ont fricoté ses comptes pour son entrée dans l’Europe, puis qui font partie des structures européennes qui distribuent conseils et pénalités: c’est assez fort de café. D’autant qu’on sait très bien que les Etats-Unis, berceau du capitalisme primitif, n’ont jamais été très enthousiastes par la construction européenne; aussi retrouver leurs poissons-pilote dans la BCE n’est que modérément rassurant.

L’incompatibilité du capitalisme avec la démocratie se confirme chaque jour: le référendum grec a été considéré comme une traîtrise par des dirigeants européens, d’ailleurs les affaires marchent particulièrement bien avec les dictatures. Il est considéré comme normal que les peuples ne puissent plus manger à leur faim, plus se soigner pour que leur gouvernement rembourse des institutions hors sol. Ces méthodes brutales ont déjà été expérimentées dans les pays en développement depuis longtemps. Autant dire que le peuple grec a eu un courage exemplaire de résister, même si la gestion hellène mériterait d’être sérieusement reconsidérée.

Heureusement, de nombreuses forces, ONG, associations, citoyens petits et grands, lanceurs d’alerte, travaillent à dénoncer, mettre en lumière, décoder, enquêter, militer, trop souvent au péril de leur vie. C’est grâce à elles que nous avons les éléments de compréhension pour appréhender ce qui se trame, comme les méthodes internes des «corporate», la mise en place d’une dictature économique qu’on observe en train de poser ses jalons. Rappelons simplement aux gouvernants que les cadeaux fiscaux faits aux grandes entreprises sont dangereux pour les finances publiques, que la liberté de commerce, la libre et saine concurrence ne sont que des leurres et que l’autorégulation comme principale mesure d’encadrement est d’une naïveté à faire pleurer les chaumières. Les associations citoyennes l’ont déjà largement prouvé. Elles méritent plus que jamais notre soutien et notre engagement.

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