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Août 2015
Grèce: coup d’Etat monétaire contre la volonté populaire
Auteur : Hans-Peter Renk

Au début des années 1990, l’analyste états-unien Francis Fukuyama publiait un essai, La fin de l’histoire: après la disparition de toute alternative systémique, l’avenir était à la conjonction indissoluble du capitalisme et de la démocratie. Pourtant vingt ans plus tôt le Chili devint un laboratoire du néolibéralisme, durant la dictature du général Pinochet1. Mais le ralliement de la social-démocratie au dit néolibéralisme pouvait donner quelque crédit aux thèses de Fukuyama. La réalité vient d’y donner un sérieux démenti, avec la crise grecque.

Depuis 2010, la Grèce fut soumise à une cure d’austérité sans précédent en Europe: s’élevant alors à 120% du produit intérieur brut (PIB), la dette grecque se monte aujourd’hui à 175% du PIB2. «Les impôts des plus pauvres ont augmenté de 337%. Ceux des plus riches? De 9%. D’après une étude de la fondation Hans Böckler [liée au syndicat allemand DGB] (…): les 10% les plus pauvres ont perdu 86% de leurs revenus, les 30% les plus riches n’ont pas perdu plus de 20% de leurs entrées» (Cédric Reichenbach, Echo Magazine, 26.3.2015). Les coupes dans la fonction publique se soldent par la fermeture de nombreux hôpitaux (auxquels suppléent des dispensaires alternatifs). Des centaines de milliers de foyers ont été privés d’électricité, 300.000 Grecs dépendent d’une aide alimentaire. Près de la moitié des retraité-e-s vivent au dessous du seuil de pauvreté. Le chômage des jeunes dépasse 50%.

Cette situation découle des politiques menées par les gouvernements de droite et de «gauche» (NEA DEMOKRATIA et PASOK), qui se sont succédé depuis la fin de la dictature militaire, en 1974. Pour obtenir l’entrée de la Grèce dans la zone euro, la comptabilité du pays fut truquée avec la complicité de la banque Goldman Sachs (où officiait alors le vice-président de la BCE Mario Draghi). Jadis en mains privées, cette dette est aux mains des institutions européennes et du FMI.

Le 25 janvier 2015, SYRIZA (coalition de la gauche radicale) a remporté les élections. Mais depuis cinq mois les créanciers ont refusé obstinément les propositions du gouvernement grec. «Il n’y a pas de vote démocratique contre les traités européens», affirmait, début février 2015, Jean-Claude Juncker, ex-premier ministre du Luxembourg (paradis fiscal bien connu). Au sein de la zone euro, le ton est donné par le ministre des finances allemand, Wolfgang Schäuble, prônant le paiement intégral de la dette grecque et prêt à expulser la Grèce de la zone euro.

Le capital est du travail volé.
Auguste Blanqui

Les déclarations de Jean-Claude Juncker et le déroulement des discussions entre la Grèce et l’euro-groupe montrent la vraie nature de l’Union européenne réellement existante3. En 2005 une majorité du peuple français avait voté contre une Constitution européenne, préconisant «la concurrence libre et non faussée». Le même texte avait ensuite été voté sans consultation populaire en 2007 par le Parlement français (droite et «socialistes» réunis).

Comme la Grèce a perdu sa souveraineté monétaire depuis son entrée dans la zone euro, «depuis le 4 février, la Banque centrale européenne (BCE) a coupé la principale source de financement du système bancaire grec, tandis que les versements européens sont interrompus depuis l’été 2014» (Cédric Durand, Razmig Keucheyan et Stathis Kouvélakis, «Faire cause commune avec la Grèce», Libération, 17.4.2015).

De nombreux économistes estiment cette dette impayable. Alors, pourquoi donc un tel acharnement? Visiblement, il s’agit d’un problème plus politique qu’économique. «L’enjeu, c’est une tentative d’humilier la Grèce et les Grecs, ou d’en finir avec le gouvernement d’Aléxis Tsípras» (Dimitris Papadimulis, député européen de SYRIZA)4.

La crise grecque5 devrait nous rappeler une mise en garde prémonitoire, formulée au début du projet de construction européenne: «Le projet de marché commun tel qu’il nous est présenté est basé sur le libéralisme classique du XIXe siècle, selon lequel la concurrence pure et simple règle tous les problèmes. Les initiatives sociales seront-elles encore possibles? La tendance à l’uniformisation n’implique-t-elle pas que les pays les plus avancés vont se voir interdire, du moins momentanément, de nouveaux progrès sociaux?» (Pierre Mendès-France, L’abdication de la démocratie, 18.1.1957).


1. Naomi Klein, La stratégie du choc: la montée d’un capitalisme du désastre. Actes Sud, 2008.
2. Le 17 juin 2015, une commission d’audit rendait un rapport accablant: la dette est illégale, illégitime et odieuse.
Cf. le site du Comité pour l’annulation de la dette du Tiers-Monde.
3. François Ruffin, Faut-il faire sauter Bruxelles?, Amiens, Fakir Editions, 2014 [reportage critique sur les institutions européennes].
4. Stelios Kouloglou, «Grèce: le coup d’Etat silencieux», Le Monde diplomatique, juin 2015
5. Pour des informations récentes, cf. le site de Yannis Youlantas (philosophe franco-grec).

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