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Juin 2013
Vous avez dit délation ?
Auteur : Aurore Girardet

La délation: «Dénonciation inspirée par des motifs méprisables. Faire une délation. => Dénoncer, trahir, vendre.» (Le Robert)

Depuis la nuit des temps, l'Homme dénonce. Que ce soit pour l'argent, pour plaire à l'état, pour protéger, par peur, par jalousie... l'être humain fait de la délation.

La première chose qui nous vient à l'esprit quand on entend ce mot est, bien sûr, la collaboration et plus précisément, la collaboration durant la Deuxième Guerre mondiale. La dénonciation dans toute l'Europe de Juifs par des habitants, souvent des voisins, laisse un goût amer dans nos bouches. Depuis là, cette idée est gravée dans nos esprits: la délation est une honte, une trahison, c'est immoral. Petit à petit, une atmosphère de peur s'est alors installée dans notre société. Chacun reste chez soi, bien protégé derrière sa clôture de jardin. Gare à celui qui oserait jeter un œil à celui du voisin. Plus personne ne voit, ou plutôt, plus personne ne veut voir, sous peine de perdre sa tranquillité de vie et d'esprit, de représailles de la part des voisins, de peur d'être dérangé dans sa petite vie pépère et sans ennuis, une vie pleine d'ennui justement.

C'est ainsi que lorsqu'un voisin disparaît soudainement, personne ne s'inquiète. Quelqu'un qui a des connaissances, qui fait partie d'un club, qui a une famille, des enfants, une personne dont on sait la santé fragile. Du jour au lendemain, plus de nouvelle. «Il est sûrement parti en vacances!», se dit le voisin de gauche, alors qu'il voit la lumière du palier d'à côté allumée sans arrêt depuis quelque temps. «Il est sans doute à l'hôpital, avec sa santé!», se dit le voisin de droite, alors qu'il entend la télévision, allumée sans arrêt depuis quelque temps. Personne ne passe un coup de fil pour s'en assurer, aucun des voisins ne va frapper à la porte d'à côté. Rien.

Le temps passe, le courrier s'accumule dans la boîte aux lettres, le poste télé s'éteint, la lumière aussi. Les gens continuent leur vie. Ils ont déjà assez de soucis sans devoir encore s'occuper de la vie du voisin. Ils oublient même qu'ils en ont un. Quand il veut, l'Homme à la grande faculté d'oublier. Un jour, la famille finit par s'inquiéter. Alors on va frapper à la porte de la personne dont on a bizarrement plus de nouvelles depuis deux ans, et vu qu'on n'a pas de réponse, on appelle la police. En dernier recours, car on ne voudrait pas recevoir une facture pour l'avoir dérangée, s'il s'avérait que personne n'est en danger. Nous pouvons être rassurés, nous n'aurons pas besoin de payer cette fois-ci. Le voisin disparu est décédé, seul, deux ans plus tôt.

Le silence total n'est pas la meilleure des solutions, on l'aura compris. Aujourd'hui, si l'on voit chez le voisin quelque chose ou quelqu'un de suspect, d'anormal, il existe un service mis en place par certaines communes en collaboration avec la police. Monsieur et Madame tout le monde peuvent appeler un numéro spécial, qui les fera tomber directement sur le poste de police de leur région. Au téléphone, il faut annoncer «code bleu», c'est anonyme et gratuit, quel que soit le problème. Il a donc fallu ce genre de mesure pour que les gens ne se cachent plus derrière leurs rideaux et osent regarder chez le voisin.

Parfois, on ferait mieux de regarder chez soi avant de s'occuper des voisins, c'est certain; mais prendre des nouvelles, passer un coup de fil, se bouger de son gros canapé, dites-moi, qu'est-ce que ça nous coûte ? Si la délation est surtout perçue comme étant un acte honteux de trahison, il ne faut pas oublier qu'elle peut aussi sauver des vies. Est-ce que pour une fois nous renoncerions à notre petit confort pour agir, si toute notre vie devait en être chamboulée ?

Sacrifierons-nous notre bien-être pour sauver une vie ?

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