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Décembre 2012
Arrêtez le monde, je veux descendre !
Auteur : Christiane Bonder

Partout sur cette planète l'homme et la nature meurent des retombées néfastes engendrées par nos sociétés de consommation. Partout aussi, l'homme est conscient de l'abondance dans laquelle vivent les pays occidentaux et les envient. Mais en quoi consiste ce soi-disant progrès dont nous nous targuons s'il entretient non seulement les guerres, la peur, la faim et la misère, mais encore l'addiction, le manque de repères, l'excès de travail et la dépression, l'humiliation, la maladie de posséder? Où se sont évaporés la part de sagesse et le respect de l'autre, la responsabilité de sa propre existence?

A faire le bilan de ce que nous ont apporté nos avancées technologiques, nous serions tentés d'affirmer: «Rien de vraiment positif…». En rester là serait cependant un constat limité puisque l'option d'en extraire certains avantages est bien présente. Les nombreuses découvertes en tous domaines sont fascinantes et ouvrent des perspectives et des connaissances nouvelles. Les traitements médicaux et notre confort se sont encore améliorés. Pourtant, il y a un coût à cela et ce bien-être élaboré dans les pays riches, les pauvres n'y ont pas accès. Nous avons tout, nous avons trop, poussés à la consommation par un système devenu ingérable.

On nous a menés en bateau en nous offrant de beaux joujoux qui nous relient les uns aux autres, des distractions sans fin qui excluent tout rendez-vous avec soi-même, des gadgets innombrables présentés comme essentiels à notre bonheur et à notre épanouissement. Peu à peu décervelé, l'être humain est convaincu que suivre le mouvement est le seul chemin pour parvenir à une confortable retraite. La révolution qui venait du peuple n'aura plus lieu puisque les citoyens s'endorment sous l'emprise de leurs jeux et de responsables politiques dont l'envergure et la fiabilité s'étiolent.

L'imposture d'une société qui asservit l'homme n'est pas récente et nous en avons de multiples exemples. L'une des influences qui a laissé des traces de révolte face à un système dans lequel nous finirons par nous noyer correspond à cette période sublimée des départs pour Katmandou (années 60-70), des hippies «enfants fleurs» et autres inspirés, puis du fameux: «Il est interdit d'interdire»… Toute une jeunesse qui contestait déjà avec raison le matérialisme et le consumérisme. Tandis que certains partaient à la recherche de la vérité, Michel Polnareff montrait la sienne sur la scène de l'Olympia et les étudiants lançaient des pavés dans les rues parisiennes. Rejetant les vieux schémas, les lois et leurs racines, ces jeunes vêtus de chemises à fleurs chantaient: «Je suis en avance de deux ou trois longueurs» ou: «Faites l'amour, pas la guerre». De nobles sentiments qui se sont perdus dans les brumes de la marijuana en oubliant l'intense besoin que ressent l'être humain de s'identifier à des repères, à ses origines. Les hippies furent précédés par les beatniks, un mouvement écologiste des années 50.

Des hommes sensés, philosophes et érudits ont lancé depuis plusieurs années des avertissements et des mises en garde. Ils ont crié dans le désert… Nous nous dirigeons vers un chaos annoncé qui, pour nos gouvernements, semble toutefois moins important que les rentrées de bénéfices et les mouvements financiers. La promesse d'une Europe sociale et culturelle s'est, elle aussi, fanée en cours de route. Nous sommes guidés par des dirigeants qui semblent ne prendre en compte que les paramètres qui leur sont profitables. L'État et les citoyens ont des droits mais aussi des devoirs, la part des droits étant dans ce cas plus importante que celle des devoirs. Des employés sont licenciés et l'on assiste à des fermetures d'usines. L'humain est dévalorisé, traité comme le pion d'un échiquier. Les budgets attribués au social, à l'éducation sont revus à la baisse et frappent les plus faibles. Quand des gouvernements n'hésitent pas à faire des économies dans des domaines essentiels tout en ouvrant leur gousset pour des armes inutiles, que d'autres encore pillent les richesses naturelles des pays du Sud afin d'en tirer profit, on se dit que ceux du Nord perdent le nord. Nous sommes en droit de nous poser mille questions quant à la finalité de l'exercice sachant que les banques détiennent désormais plus de pouvoir que les gouvernements.

«Arrêtez le monde, je veux descendre!». Trop tard puisque nous sommes tous happés par les nouvelles technologies qui nous sont imposées. Si nous n'y adhérons pas, nous sommes tout simplement exclus de la société. Et pourtant… ces technologies sont un colosse aux pieds d'argile sur lequel nous nous basons pour construire du solide.

La finesse, l'intuition et la sensibilité, le sens du sacré sont désormais passés aux oubliettes. L'humain est-il donc roi, le seul maître de l'univers pour se comporter d'une manière aussi prétentieuse et irresponsable ?


La violence ne vient pas de l'État, elle vient de la société elle-même.
- Lionel Jospin


L'intelligence est la force d'extraire du chaos de sa propre vie la poignée
de lumière suffisante pour éclairer un peu plus loin que soi
  – vers l'autre là-bas –  comme nous égaré dans le noir.

Christian Bobin
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