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Décembre 2011
La paille ou la poutre
Auteur : Edith Samba

Il n'est pas inintéressant d'observer les schémas d'analyse pratiqués par les médias occidentaux lorsqu'ils commentent les printemps arabes. Exprimer systématiquement une peur viscérale de voir la charia s'installer comme base dictatoriale et théocratique en Tunisie, en Egypte ou en Libye est révélatrice de notre méconnaissance. Les clichés, les amalgames et les procès d'intention se multiplient à un point tel que des propositions folles circulent comme de freiner, par exemple, la démocratie sous prétexte qu'elle pourrait être favorable au péril vert.

Une imprégnation musulmane dans la construction d'une nouvelle gouvernance ne devrait pas nous affoler outre mesure. Les 30% du groupe Ennahdha en Tunisie ne sont pas plus impressionnants que notre extrême droite nationale. Ne sous-estimons pas les forces libérées d'une jeunesse éduquée et ouverte au monde, d'une large diaspora bien tentée de retourner vivre une nouvelle aventure sur la terre natale et ramenant avec elle un bagage culturel qui l'aidera à ne pas se laisser imposer une dictature. N'oublions pas non plus l'imprégnation profondément chrétienne de nos démocraties, si flagrante pour eux et anodine pour nous.

Il est juste que la tentation des groupes religieux d'accaparer le pouvoir est puissante, étant organisés depuis longtemps dans la clandestinité. Osons espérer qu'ils n'oublieront pas qu'ils sont eux-mêmes traversés de nombreux courants internes. L'ancestral clivage entre chiites et sunnites, perses et arabes, ne va pas non plus leur faciliter la tâche. Aussi, le principe fondamental de la liberté religieuse reste un impératif majeur pour assurer la paix sociétale. Une lecture moins littérale du Coran donnera à qui le veut tous les éléments pour définir une société tolérante, équitable et libre. C'est peut-être bien le seul conseil intelligent que les Occidentaux peuvent offrir à la mise en place de ces nouveaux gouvernements, qui sera lente, tâtonnante comme tout processus démocratique qui se respecte.

Les années passées à pousser mes tongs sur diverses terres musulmanes m'encouragent à faire confiance aux forces réformistes qui font vibrer aujourd'hui ces terres d'islam. Il faudra pour cela que les jeunesses et les démocrates de ces pays restent très vigilants et acteurs permanents des changements. Entre la Charybde islamique qui tend à rendre la vie infernale aux minorités et la Scylla militaire, la société civile devra peser de tout son poids, courant le risque de devoir parfois y laisser ses enfants. Il est clairement entendu que l'angélisme n'est pas de mise: les luttes de pouvoir sont et seront terribles et la justice, l'équité risquent d'être à géométrie variable, probablement pas toujours dans le sens que l'on pourrait souhaiter.

Maintenant, si nous pouvons nous prévaloir d'une certaine expérience en pratique démocratique, sommes-nous pour autant exemplaires dans tous les domaines? Avec la crise actuelle qui s'installe de plus en plus largement, fruit des délires multinationaux que notre culture a sécrétés, nous ne sommes peut-être pas très crédibles comme donneurs de leçons. Soulignons, juste pour signifier notre ambivalence, que notre chère démocratie est prête à effacer nos cathédrales des dépliants touristiques ou la croix sur nos couteaux préférés, pourtant appréciés pour tuer le mouton d'Aïd el-Kebir. Aussi, qui sera gratifié de la paille plutôt que la poutre ?

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