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Février 2010
On marche sur deux pieds
Auteur : MIR

Comparons un pays d'Afrique et la Suisse alémanique. Etrange démarche, direz-vous. Pourtant, sur le plan linguistique, on observe un point commun: l'usage quotidien de deux langues. En Afrique coexistent même plusieurs langues. Les linguistes parlent de diglossie pour l'usage de deux langues. Le mot «polyglossie» existe-t-il? Je ne le sais pas, et pourtant, il me serait bien utile dans le cas de l'Afrique.

En Suisse allemande, on entend le suisse allemand. Langue? Dialecte? Je ne trancherai pas ici. La langue officielle, dans les textes de lois: «Deutsch», donc allemand, allemand standard, Hochdeutsch, comme disent les Romands, Schriftdeutsch, comme disent les Suisses allemands. Pourtant, on ne l'entend pas en rue, ni même dans les cours d'école. On l'entend plus ou moins dans les leçons, s'il s'agit de leçons de mathématiques, de sciences ou d'histoire. Mais n'allez pas imaginer une leçon de gymnastique en allemand standard ou un cours de cuisine dans la langue de Goethe! Là règne le suisse allemand.

Le suisse allemand s'écrit, dans divers contextes, dans les courriels et les SMS, messages-textes. Dans une publicité sur une poudre à lessive à la télévision «Schweizer Fernsehen (SFDRS)», on peut entendre:

«Les Suisses s'entendent bien car ils ne se comprennent pas».
— Jean-Pascal Delamuraz
  1. La maman horrifiée qui accueille son enfant tout
    crotté après des jeux dans la boue: suisse allemand.
  2. Le scientifique qui vient parler des enzymes gloutons
    qui vont manger cette vilaine saleté: allemand standard.
  3. La maman toute souriante qui envoie son enfant jouer
    dehors et affirme que la poudre XY va résoudre tout problème de
    saleté qui pourrait survenir: suisse allemand.

Un aspect de la situation linguistique outre-Sarine est semble-t-il unique au monde: pas de répartition par classe sociale. Toute la population utilise le dialecte, du balayeur de rue au conseiller fédéral. Toute personne qui a de l'ambition dans les domaines des banques, de l'import-export, de la politique, se doit de comprendre le dialecte. Si un Romand s'exprime en allemand standard, ça va. Ses interlocuteurs feront peut-être un effort pour lui parler dans cette langue, mais cet effort ne fera pas long feu. Tout Bâlois, Zurichois ou Bernois retombe dans le dialecte vite fait bien fait. «Chassez le naturel, il revient au galop» disait Molière.

En Afrique, les colons ont apporté leur langue: français, anglais, portugais, espagnol… Ces langues cohabitent avec les langues locales africaines. Tous les Africains sont bilingues voire polyglottes; ils parlent la langue du village de papa, la langue du village de maman et la langue coloniale. En Afrique du Nord, les Berbères considèrent l'arabe comme une langue coloniale. On entend en permanence diverses langues, les gens en changent continuellement, même à l'intérieur d'une phrase. On peut parfois entendre une phrase en fon ou en ouolof et remarquer dans une chaîne parlée le mot «photocopie» ou «ordinateur», ces mots n'existant que dans la langue coloniale. Une salade russe donc, un bircher muesli, un doux mélange…

Dans les écoles, il y a des tentatives d'enseigner la lecture et l'écriture dans les langues indigènes. Cela varie de pays à pays. Mais très vite, c'est la langue coloniale qui prend le dessus et devient langue de culture, ou d'acculturation… À vous de voir… Le problème est posé.

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