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Juin 2009 °
L’Afrique et les défis du déchet
Auteur : Zachée Betché


La modernité est à la fois respectée et haïe. La preuve c'est qu'à l'ère de l'exaltation quasi-religieuse du bio, d'une conscience de plus en plus aiguë de l'avenir de la planète menacée par l'industrialisation de non retour, d'une reconnaissance de l'empreinte écologique comme cristallisation pertinente de l'identité individuelle, on peut s'inquiéter de ce qui advient des déchets tant en Occident que dans le monde dit d'en bas.

D'abord pourquoi l'Afrique? Esquissons premièrement cette réponse que je qualifierai de post-moderne et qui rend compte de la situation actuelle du monde, de ses avancées en terme de technique. Ce n'est guère un secret de polichinelle: la révolution industrielle du XIXe siècle a épargné le continent africain et cela se fait encore sentir. Il est vrai que de grosses industries mêmes polluantes existent en Afrique. Cependant l'industrialisation n'a pas suffisamment pris racine dans son contexte et ne fonctionne que de manière épi-phénoménale. Ce constat laconique provoque une réponse: étant donné que la compréhension actuelle de la notion de déchet est prioritairement liée au mode de consommation en société industrielle, on peut souligner d'une manière radicale que l'univers traditionnel au sud du Sahara méconnaisse son existence.

En effet, au-delà de la modernité, notre époque dite postmoderne semble de plus en plus remettre en question le scientisme qui hante l'Europe depuis le XIXe siècle. Elle signe l'arrêt de mort de la super-puissance de la science et de la technologie pour verser dans de nouvelles recherches qui tendent à voir dans différentes cultures et modes de vie, des sources d'espoir pour rectifier la trajectoire du monde. L'Afrique semble donc revêtir dans l'imaginaire de nombreux Occidentaux l'image d'un lieu par excellence de virginité en matière écologique. Est-ce de l'angélisme ou l'obsession d'un retour à une sorte de naturalisme qui dénonce l'écart de conduite en matière de responsabilité écologique? Serait-ce le sentiment d'une fin irrémédiable de la planète aux seuls motifs de l'incurie humaine grandissante?

Ensuite, une réponse qui a trait à la Weltanschauung dite africaine. Sans verser dans une généralisation abjecte, l'Afrique ne connaîtrait pas de déchet dans sa vision du monde qui intègre l'ensemble des éléments composant le monde et admet leur nécessité. Or, le déchet, par essence, est un excédent. A titre d'exemple, pour élucider cette vision unitaire du monde, l'Afrique noire, notamment, admet que le monde des vivants et celui de morts forment un tout. « Les morts ne sont pas morts » scandait le poète Birago Diop. Cette vision fait dire à plusieurs spécialistes de religion, par exemple, que l'Afrique est par essence animiste et polythéiste.

Partant de cette vision très répandue, on peut conclure que le déchet est d'office inexistant dans l'univers mental et réel africains. Autrement dit, l'Afrique serait, à l'image de sa couleur noire, le cimetière de toutes les autres couleurs existantes. Cette sorte de phagocytose des éléments qui viennent à elle, ferait de ce continent le monde par excellence de l'ouverture voulue, assumée ou subie à toute sorte d'étrangeté.

Aujourd'hui, cette vision est âprement discutée. L'unité africaine au sens superficiel du terme n'existe que dans l'ethnologie dix-neuvièmiste dominante et dans toutes sortes de fantasmes. A cette vision d'entente parfaite entre les différents mondes unis par la palabre (sorte d'Agora africaine), s'oppose une vision plurale de l'Afrique. Contrairement à ce que renvoie cette fausse imagerie, le monde noir connaît des différences, des discussions voire des contradictions. En conclusion, loin de nous ce monde inventé et suspect.

Le résidu ou le déchet n'est pas absent de manière absolue. Au contraire, il est dans la confrontation des idées, mais aussi dans l'ouverture au monde de la consommation. L'Afrique a toujours connu des mouvements comme le reste de la planète: le déchet introduit par la technologie, celui lié à la possession et la dépossession de ces objets transformés, utilisés et abandonnés. La stratégie d'ensemble consiste en une circularité dans la manipulation des déchets de la technologie en milieux urbains notamment. Les engins arrivés en fin de vie et qui meublent indélicatement les déchetteries improvisées pour la plupart de temps redeviennent des sources de revenus parallèles dans le secteur tertiaire. La ferraille va subir d'autres transformations utiles en Inde ou en Chine. A l'heure actuelle il n'existe pas de volonté ou de possibilité de procéder à des récupérations autres que celles des petits artisans, dans le but de fabriquer des ustensiles et autres outils pourtant nécessaires au quotidien. Ces inventeurs et adeptes de la débrouillardise des métropoles africaines sont insuffisamment pris au sérieux par l'Etat. Ce dernier minimise leur technicité et finalement leur secteur d'activité pourtant reconnu comme un reflet de cette intelligence orpheline.

La circularité doit être reconnue tant à l'interne qu'à l'externe. On ne peut se complaire dans un particularisme soi-disant africain qui évite une conscientisation globale sur les enjeux cruciaux du monde. L'Afrique n'est pas située sur la lune, elle est à proximité de l'Europe occidentale où se situent les pôles de développement industriels importants. Ce qui permet de poser l'hypothèse selon laquelle l'Afrique serait doublement victime: elle subit l'industrialisation abusive du monde occidental et se voit privée de ses retombées.Zachée Betché

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