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Avril 2008
Sommes-nous prêts pour la décroissance ?
Auteur : Zachée Betché

Quelle décroissance promouvoir dans un monde aussi inégalitaire ? Ce n’est guère là, a priori, l’expression d’un ras de bol, mais le questionnement qui préoccupe à des degrés différents les grandes aires de notre planète bleue. Si la décroissance suppose aujourd’hui un développement durable, il faudra aussi mesurer les différents niveaux de développement des continents. Il est certain que la croissance actuelle représente une grave menace pour l’avenir de notre monde commun.

En Occident, et plus particulièrement en Europe, le thème de la (dé)croissance soulève un véritable paradoxe. Deux désirs majeurs prédominent alors qu’ils apparaissent inconciliables. Pour assurer sa statistique ou sa prédominance dans le monde, l’Occident a besoin de continuer à progresser économiquement. Aussi, au regard des dangers escomptés et de toutes les externalités que suppose un tel progrès ininterrompu, il devient impératif de se fixer d’autres objectifs. L’Occident se trouve à la croisée des chemins, devant deux voies dont le parallélisme au départ n’a rien d’inquiétant parce qu’il se résume à un gentil débat d’idées. Mais plus on avance, plus les deux voies se distancient considérablement et irréversiblement. Ce qui n’était qu’un débat d’idées risquerait alors, dans les années à venir, d’apparaître comme une muette attitude face à un désastre digne des longs métrages apocalyptiques hollywoodiens. C’est pour cette raison que l’idée d’alternative, même si elle paraît dominante en théorie, laisse croire qu’il s’agit plus d’un slogan que de mesures concrètes. Le droit de polluer que d’aucuns s’accordent ou accordent aux autres n’est-il pas, au-delà de tous les calculs à la fois mesurés et égoïstes ou d'une prétention manifeste, une hypothèque de l'idée d'alternative objective ?

« Cherchez d’abord son Royaume et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît ».
Matthieu, 6

L’Orient, c’est-à-dire la Chine et l’Inde notamment, ne semble pas se poser de questions parce que l’heure de l’alternative n’a apparemment pas sonné pour lui. Le dogme du nouveau capitalisme s’y est imposé et s’y développe suivant un rythme effréné. L’obsession de l’élévation du taux de croissance obère les chances d’une culture de remise en question conséquente. Dès lors, penser qu’un discours sur la décroissance ou le développement durable advienne au devant de la scène paraît momentanément utopique.

En Afrique subsaharienne, la situation est bien différente. Aminata Traoré l’explique en ces termes: «La croissance est l’un de ces mots d’ordre et mots clés dont nous nous gargarisons en croyant qu’ils ont la même signification et les mêmes retombées pour les investisseurs et pour nous. Il n’en est rien. Les entreprises étrangères s’enrichissent et permettent à leurs interlocuteurs et alliés locaux d’en faire autant au détriment de l’immense majorité des Africains et de l’environnement.» (L’Afrique humiliée, Fayard, 2008, p. 205.) L’Afrique participe malgré elle à la croissance économique de ce monde, forcée, pourrait-on penser, de garantir les matières premières sans que sa propre population en bénéficie. Ce continent est doublement victime de cet économisme mondial impitoyable. A certains égard, elle doit assister impuissante à la saignée de ses propres richesses, aux pollutions ostensibles et subtiles liées à la violence économique dont les retombées profitent aux pays riches.

La question est de savoir si le bien fondé de la décroissance chez les uns doit impérativement justifier celle des autres. La situation économique des pays du Sud non émergents doit faire réfléchir. Ou bien, par solidarité avec le reste de la planète et au risque de rendre encore plus insupportables les méfaits de la croissance, on étouffe cyniquement le développement industriel en Afrique ; ou bien, pour acquérir le bien-être qui attire de plus en plus des populations du Sud vers le Nord, les pays actuellement pauvres instaurent le dogme du progrès à leurs risques et périls. Il est vrai qu'il n'y a pas que ces deux possibilités. On pourrait en imaginer d'autres. Des réflexions sont menées dans le cadre de nombreuses organisations locales. Il ne faut donc pas minimiser les efforts qui sont consentis à travers d’innombrables projets utopiques. Toutefois, l'on peut relever certains paradoxes qui rendent caduques les espoirs des peuples.

La logique du monde ne permet guère malheureusement une concertation franche. Du moins il sera difficile de la faire aboutir parce que l’être humain est un être de désir, insatiable, conquérant et avide de domination. Aucune nation n’aimerait être la risée des autres, aucune ne souhaite en toute vérité renoncer de façon autonome à ses propres privilèges. Au-delà des concertations de façade qui résonnent comme des lapsus plutôt que comme de réelles volontés d’aboutir, il faut éveiller un sens aigu de la responsabilité. On peut comprendre les pays qui ont besoin d’industries lourdes, là où les préoccupations écologiques modernes paraissent être plus un frein à la vie qu’une stratégie de survie. Mais on ne peut pas comprendre que la pollution et la dégradation de l'environnement soient ignorées alors qu'elles détruisent la même vie.

« Le cœur content est un festin perpétuel ».
Livre des Proverbes

On peut également comprendre ceux qui étouffent dans cet univers froid de la machine et qui rêvent d'un monde différent. Mais on ne peut pas comprendre qu'ils désirent à la fois le bien-être que procure la croissance, la posture de donneur de leçon qui est liée à ce bien-être et souhaiter la décroissance qui voudrait restaurer la justice et le respect de tous. La liste des paradoxes ne fait que suivre elle aussi, le chemin de la croissance. La consommation «bio» semble offrir des gages de décroissance ou de relation saine au monde et à la nature. En réduisant la superfluité, en recadrant le lieu de nos opérations dans le respect et la promotion de ce qui est nature, on semble avoir compris comment orienter notre agir. Mais cette idée qui fait école et recette devra affronter une impasse. Car la consommation «bio», par exemple, apparaît comme une réelle contradiction. S’il faut à long terme affamer la population pour que la consommation du biocarburant devienne une norme, on verrait difficilement et à long terme, le bien fondé d’un tel projet.

La solution absolue n’existant pas, il faut que la conscience s’éveille pour secréter des formes d’organisations de développement durable qui tienne compte de toutes nos aberrations. Philosophiquement, le problème n’est pas la croissance en soi mais son «pourquoi». Qu’est-ce qui légitime la croissance ? C’est à ce niveau que l’individu et toutes les sociétés du monde doivent réfléchir et proposer des solutions ou de vraies alternatives. On peut être optimiste lorsque le Vatican vient d'admettre qu'il existe des «péchés modernes» inhérents aux injustices sociales et économiques.

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