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Décembre 2007
Les rites et la violence des jeunes
Auteur : Mousse Boulanger

Délinquance

Dans leurs faits divers les médias, tout comme les acteurs de la politique, exploitent les exactions de certains adolescents, nous faisant croire qu'elles sont aujourd'hui beaucoup plus nombreuses et dangereuses qu'il y a 50 ans. Or, une étude de l'Office fédéral de la statistique contredit cette idée. Il n'y a pas une différence très marquante entre ce qui se passait il y a cinquante ans et aujourd'hui. Le cap de l'adolescence est encore et toujours une période propice aux dérapages.

Rite: ce qui se fait, s’accomplit, comme dans un ordre prescrit, traditionnel. Larousse XXe

Il serait bon de tenter de comprendre le pourquoi de cette délinquance juvénile. Les causes ne s'inscrivent-elles pas dans les mutations socio-économiques de notre époque? Si durant les Trente Glorieuses il était facile d'accéder à un poste de travail, il en est tout autre aujourd'hui. Les places d'apprentissages manquent, les études coûtent cher, ne débouchent pas systématiquement sur un emploi, l'insertion professionnelle est difficile. Il est certain que les jeunes éprouvent fortement cette permanente agression de notre société.

La répression

Faut-il construire des prisons pour mineurs? La Suisse y songe. La France en a déjà mis en chantier. La violence répondant à la violence, est-ce une bonne solution? Ces adolescents qui risquent «le mitard» pour les plus récalcitrants, en ressortiront-ils assagis? La rancune, l'amertume, l'esprit de vengeance, l'aigreur ne seront-ils pas les ferments de nouveaux excès? Un régime de contraintes, une vie en collectivité imposée ne peuvent que déstabiliser des jeunes déjà en crise. Les expériences faites montrent que ces adolescents, en groupe, tapent, crient, insultent, font tout pour se faire exclure. Il y a une exacerbation des conflits entre les éducateurs et les prisonniers. «Or, plus la réponse est dure, plus la réaction est violente» dit le sociologue Francis Bailleau.

Les rites

Cette violence qui nous fait peur, comment s'est-elle implantée dans les cours de récréation, même chez les tout petits? Nous sommes dans un monde qui a perdu les rites d'initiation par rapport à une culture qui était socio-religieuse. La nouveauté de nos comportements les a supprimés. Résultat: les jeunes ne savent plus comment entrer dans le monde des adultes. Alors, ils recherchent le clan, la tribu, ils forment des bandes. Ils créent des situations de transgression. Que ce soit au volant d'une voiture ou d'une moto, que ce soit par le viol, par la drogue, l'alcool, ils s'inventent des situations de remplacement.

«C’est la fièvre de la jeunesse qui maintient le reste du monde à la température normale. Quand la jeunesse se refroidit, le reste du monde chaque des dents». Bernanos

Le rite pourrait donner des repères sociaux aux jeunes, lorsqu'il est généré par des adultes responsables. Aujourd'hui on assiste à des soi-disant jeux tels que l'écharpe qui consiste à étrangler ou s'étrangler soi-même jusqu'à l'asphyxie. C'est à celui qui résiste le plus longtemps. Les résultats peuvent être effroyables: handicap mental ou mort. Chez les 3 ou 4 ans on joue à «la tomate». On retient son souffle jusqu'à l'étouffement. Un autre rite instauré par les adolescents est la décision de tabasser un camarade, sans raison, alors que la bagarre est filmée par les copains. Là encore on peut aller jusqu'à de graves blessures. Un autre jour c'est la couleur qui décide. Celui qui porte une couleur exclue par le clan se fait battre brutalement. L'élève qui refuse de participer devient la prochaine victime. Jouer à «la canette» c'est shooter une boîte et soudain tout un groupe fonce sur un garçon et le bat sans discernement.

Le jeu du tunnel consiste à résister à l'aspiration par un train, ou traverser une autoroute les yeux fermés Le défi est d'échapper à la mort et par conséquent de franchir une épreuve de passage Nouveaux jeux? Sorte d'initiation? On s'étonne que les enseignants ne parviennent pas à mettre fin à ces pratiques. Nos grands-parents jouaient au ballon prisonnier, à cache-cache, au gendarme et au voleur. Boris Cyrulnick relève que «l'initiation des adolescents, notre culture l'a supprimée; résultat: voir le nombre des jeunes perdus». Il donne en modèle la Suède qui s'est fortement préoccupé de ce grave problème. Il semble que l'Allemagne s'y mette aussi.

Jeunes et pauvres

Chantal Ostero, membre du bureau de la commission fédérale pour l'enfance et la jeunesse, ne mâche pas ses mots. Elle dénonce la paupérisation qui frappe les enfants et les jeunes. Les groupes les plus fragiles sont les enfants de parents au chômage, les familles monoparentales, les enfants de familles migrantes ou ceux de familles nombreuses. Evidemment c'est dans les grands centres urbains que ces enfants sont les plus touchés. Il s'agit là d'un problème de société qui dépasse le cadre individuel. Il faudrait que notre pays s'inquiète rapidement des problèmes causés par la paupérisation et l'exclusion. Ces deux phénomènes peuvent générer des ravages sociaux. Il est donc impératif de définir un contrat de solidarité entre les générations.

Les casseurs

«Je reconnais que la violence, sous quelque forme qu’elle se manifeste, est un échec». Jean-Paul Sartre

Evidemment des jeunes, des crétins, des émeutiers! Quand on vous traite de «sale étranger», «de profiteur», cela même entre jeunes, on créé un climat de violence. Une jeune fille de 18 ans, gymnasienne, déclare: «Je suis confrontée chaque jour à la violence d'un système qui m'oppresse, me marginalise, et qui ne me promet pour avenir qu'une routine insipide boulot-conso-suicide. Nous avons la rage et nous le montrons». Alors elle s'engage dans un mouvement politique, car pour elle «casser n'est pas une fin, mais un moyen de nous faire entendre». Alors, que les journaux s'obstinent à nous faire croire que ce sont des jeunes de 14 ans sans repère, qui forment le groupe des casseurs. On ne veut pas voir que ces jeunes entre 18 et 20 ans sont là pour des raisons sociales et politiques.

Suicide

«Entre rois, entre peuples, entre particuliers, le plus fort se donne des droits sur le plus faible et la même règle est suivie par les animaux et les êtres inanimés: de sorte que tout s’exécute dans l’univers de la violence» Vauvenargues

Notre ami Jeanlouis Cornuz alors qu'il était député au Grand conseil vaudois avait soulevé le problème du suicide chez les jeunes. Il lui fut répondu que ce n'était pas une question urgente. Pour la famille qui affronte la violence d'un suicide où se trouve l'urgence? Le frère d'un jeune suicidé dit: «Quand on m'a annoncé sa mort, j'ai cru que j'allais exploser. Moi-même, j'ai pensé à faire une connerie» Où est l'urgence? Il faut relever que la première cause de la mortalité masculine dans notre pays des 25-44 ans, c'est le suicide? Les jeunes ont besoin de dialogue, d'écoute, d'amour. Quand un prof renvoie un élève qui n'a pas su répéter les derniers mots qu'il vient de prononcer, quand jour après jour il commet un délit de faciès, quand, sans raison, il en fait sa tête de Turc, quand les parents le frappent, l'envoie dans la rue pour s'en débarrasser, quand il est désigné coupable uniquement parce qu'il est jeune, et la liste peut s'allonger, que fait-il? Comment se maintient-il dans le courant de la vie? A un âge aussi fragile que l'adolescence ou celui de jeune adulte, la solution se révèle souvent dans la mort.

Qui appeler? Contre qui, contre quoi se révolter? Où courir? Où ne pas courir si le train en partance me laissait face à la solitude éternelle. (In Journal Alain Grand mort tragiquement à 21 ans).

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