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Août 2006
Sur les chemins si rares
Auteur : Jacques Falgon

Si la question posée est de savoir en quoi la création artistique est de nature à rendre le monde plus habitable, on comprend d’emblée qu’existe un réel problème posé par la vie en société. La création artistique en serait-elle une thérapie?

Il s’agit bien pour chacun de vivre dans le monde en état de traumatisme minimum… et, pourquoi pas, avec plaisir et capacité d’épanouissement?

Force est de constater que, dans les faits, chacun vit dans «son» monde. Il se constitue un univers de relations et de pratiques compatible avec ses idéaux, ses aspirations et même sa conception… du dernier voyage! Cette construction défensive autour de l’individu vise d’abord la protection de l’identité mise à mal par un contexte social normalisé et despotique.

Très jeune déjà, l’enfant cherche à s’échapper. Il part en voyage «dans la lune»! L’adulte lui demande sans cesse d’atterrir un peu… comme si, sans un travail de fond, l’atterrissage pouvait être relatif. Tout se passe comme si, du point de vue social, l’ailleurs individuel était suspect et à proscrire, inquiétant qu’il peut être par sa dimension isolationniste non communicante.

Il se trouve que la «chose artistique» est à la croisée des chemins: certes elle implique une approche sensible personnelle, mais elle exige aussi une pratique sociale ancrée dans la fréquentation des lieux culturels. Même dans la rue où l’art fait sa place il est possible de confronter sa personnalité à l’énigme socialement exhibée.

Cette rencontre insolite, qu’elle soit le fruit d’une démarche d’approche volontaire ou qu’elle ait été fortuite, force le questionnement tout en mobilisant les repères culturels et les références patrimoniales. Elle fait du regardeur un citoyen acteur.

Car c’est bien d’acteur dont il s’agit. L’oeuvre, objet inerte, aspire à devenir ce que le regardeur, devenu co-signataire par sa réception participative, voudra bien qu’elle devienne: quelque chose!!! L’irrationnel devient permis; il est même sollicité. L’hypothèse émise prend corps et se vérifie dans la cohérence que forge le spectateur au sein de l’étrangeté. La jubilation naît et l’échange avec l’Autre devient presque nécessaire sur le terrain de la confrontation des conquêtes: «J’ai donné sens»; «C’est ma vérité »… Cette vérité vaut toutes les autres même plus compétentes ou largement majoritaires. La rencontre des oeuvres, qu’elle soit initiatique ou avertie, conduit sur les chemins si rares où l’écart à la norme fait partie du paysage, sur les chemins si rares où les idées s’échangent à parité, dans le respect des différences et des délires. On n’est plus sur le terrain habituel de la communication univoque ou manipulatoire. Une habitude et un besoin de rencontrer la création s’installent.

Un début de culture «sauvage» se met en place qui, tôt ou tard, guidera le questionnement vers des connaissances plus académiques qui se garderont de ressembler à des réponses.

L’envie de pratiquer, de réaliser apparaît et pour le moins est légitimement envisageable. Dans le même temps les compétences de réception qui se mettent en place permettent l’exercice d’un sens critique aiguisé et une mise en état d’alerte protecteur des manipulations.

Un nouveau citoyen, bien dans sa tête, dans sa sensibilité et en paix avec ses délires est en train de naître; il sera en mesure de vivre autrement ses rapports sociaux et de réconcilier son monde avec celui des autres redevenu plus fréquentable.

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