2006 | 2007 | 2008 | 2009 | 2010 | |||||
2011 | 2012 | 2013 | 2014 | 2015 | |||||
2016 | 2017 | 2018 | 2019 | 2020 | |||||
2021 | 2022 | 2023 | 2024 | 2025 | |||||
+ nos 100 ans d'archives, de 1905 à 2005 ! | |||||||||
![]() |
Pour en arriver à un service civil en Suisse, il a fallu lutter pendant un siècle. Des centaines, voire des milliers d’hommes ont été emprisonnés ou psychiatrisés pendant toutes ces sombres années.
Cela a commencé au début du 20e siècle. Entre 1903 et 1906, une vague d’opposition au service armé a engendré une soixantaine de condamnations par les tribunaux militaires. Suite à la condamnation du syndicaliste chaux-de-fonnier Charles Naine en 1903, le pasteur Pettavel de La Chaux-de-Fonds et 15 cosignataires ont demandé que l’objection de conscience soit reconnue. Une commission ad hoc a alors proposé de soutenir la création d’un service civil. La réponse du Conseil fédéral fut sèche : « nul ne peut, pour cause d’opinion religieuse, s’affranchir de l’accomplissement d’un devoir civique. ».1
En 1917, la motion du Conseiller national Hermann Greulich a également été refusée. Elle demandait la libération de l’astreinte militaire pour les objecteurs « condamnés une première fois pour refus de servir pour des motifs religieux, moraux ou politiques » moyennant un service civil « de même durée à but culturel ». Cette proposition avant-gardiste était pourtant remarquable, car elle incluait également les motifs politiques et prônait la même duré que le service militaire.2 L’ingénieur Pierre Cérésole, objecteur lui-même et créateur du Service Civil international SCI, n’avait pas plus de succès avec sa pétition lancée en 1923, qui fut sèchement rejetée par le parlement. Des motions et initiatives parlementaires entre 1946 et 1964 ont toutes été refusées.3
À partir des années 1960, le problème devenait toujours plus brûlant. Durant la décennie 1960 – 1969, il y a eu 797 objecteurs, suivis de 3712 objecteurs de 1970 à 1979. Leur nombre montait en flèche pendant les dix années suivantes (1980 – 1989) avec 5410 condamnations! Les peines pouvaient atteindre dix mois. C’était six au maximum pour la minorité de ceux qui étaient considérés comme de « bons objecteurs de conscience» davantage pour ceux appelés « réfractaires » auxquels on ne reconnaissait pas un « grave conflit de conscience » ni des « motifs religieux ou éthiques ».4
Plusieurs initiatives populaires ont proposé de trouver une solution pour ces milliers d’objecteurs. L’initiative dite de Münchenstein, déposée en 1972 n’avait pas fait de propositions concrètes quant à la durée, ni concernant un examen des motifs d’objection. Cette proposition a provoqué pas mal de controverses, même pour ceux qui étaient favorables à l’introduction d’un service civil. Suite à cela, le Conseil fédéral a été chargé d’élaborer un article dans la constitution. La solution proposée au vote populaire fut toutefois rejetée en 1977.5
Peu après, en octobre 1977, une nouvelle initiative « pour un authentique service civil basé sur le preuve par l’acte », n’a pas trouvé grâce non plus devant le peuple, car 63.8 % des votants l’ont balayée. La déception des adeptes de cette initiative, dont un grand nombre d’objecteurs, fut énorme. Leur contre-projet sous forme d’une ordonnance du Conseil fédéral pour un service volontaire, élaboré par un groupe avec le doux nom de « On peut rêver » (cf. page 3) a été envoyé à toutes les communes. Le Conseil fédéral a déclaré que c’était un « faux ».6
À partir des années 70, Amnesty International a dénoncé la « violation des droits de l’homme en Suisse » année après année. Au milieu des années 70, tous les pays de l’Europe de l’Ouest avaient introduit un service civil, sauf nous ! Ce facteur-là a probablement contribué à l’introduction d’un service civil dans notre pays.7
Une motion d’Eva Segmüller du Parti démocrate chrétien a d’abord conduit à une révision du droit pénal qui proposait que les peines de prison soient remplacées par «une astreinte au travail» qui devait conserver le caractère de sanction.8 La discussion continuait et une initiative parlementaire a proposé la création d’un service civil. Le 17 mai 1992 enfin, le peuple suisse a approuvé l’article 18 al. 1 : « Tout homme de nationalité suisse est astreint au service militaire. La loi prévoit un service civil de remplacement ». Il y a donc 30 ans maintenant que la loi fédérale sur le Service civil est entrée en vigueur. C’était le 1er octobre 1996 exactement.9
Depuis, les objecteurs de conscience ont la possibilité de faire un service civil, plutôt que d’aller en prison ou chez un psychiatre ou autre médecin pour se faire « réformer », comme c’était le cas auparavant. Pendant les années de transition de 1990 – 1993, il y a eu 1898 objecteurs, et plus que 800 en 1992/93 quand le principe de l’objection était déjà inscrit dans la constitution.4
Voilà comme nous sommes arrivés là. Je ne sais pas si les jeunes civilistes d’aujourd’hui ont conscience de cette longue lutte menée par leurs prédécesseurs. Soyons contents et soyez contents chers amis civilistes que vous ne devez plus choisir entre le psy et la taule, si vous ne pouvez pas concilier un service armé avec votre conscience.
Pjotr Haggenjos
1) Guillaume Klauser, Objection de conscience : quel impact sur la création d’un service civil en Suisse, Lycée de Denis de Rougemont, 2014, pp 10-11
2) ibid., pp 11-12
3) ibid., p 12
4) Le Monde Civil, l’Objection entre 1960 et 1996, par Niels Rebetez, juillet 2021, p 3
5) G. Klauser, pp 14-15
6) ibid., pp 16-17
7) ibid., p 22
8) ibid., p 18
9) ibid. pp 19-21