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Octobre 2021
Anxiétés en héritage
Auteur : Edith Samba

Nés jusque dans les années 50, les enfants du pays débarquaient dans des familles souvent encore traumatisées par les deux grandes catastrophes mondiales qui avaient marqué plusieurs générations. En grandissant parmi beaucoup de non-dits, de silences, ces enfants ont grandi dans un relatif climat d’insouciance, malgré tout plombé par les vagues d’inquiétudes liées aux tensions entre grandes puissances, pudiquement appelées «guerre froide». Ils sentaient bien que tout ne tournait pas rond, que des citoyens ailleurs vivaient des calvaires, mais ce n’est pas très visible, et ce sentiment d’être du bon côté du manche anesthésiait bien des consciences. Certains se questionnaient malgré tout sur les agissements brutaux de notre protecteur favori, les États-Unis, sur ceux de nos voisins se comportant en arrogants colonisateurs, mais souvent évaluaient le tout dans une rivalité Est-Ouest, communisme-capitalisme qui simplifiait passablement l’analyse.

C'est l'angoisse du temps qui passe qui nous fait tant parler du temps qu'il fait. Jean-Pierre Jeunet

Sur le chemin de l’âge adulte dans les pas de mai 68, la fin de la guerre au Viêt Nam, l’ambiance s’allégeait indéniablement, avec son cortège d’optimisme, de projets audacieux et d’avenir libéré. Les actualités restaient chargées, les drames régionaux continuaient à occuper les esprits, mais le gros de la machinerie semblait évoluer favorablement. Jusqu’au jour où une monumentale déflagration sauta à la figure de tout le monde, les nuages contaminés de Tchernobyl refusant de respecter les frontières. Cette étape a fait prendre conscience de manière plus cruciale que jamais: nous étions bien tous sur le même bateau. Trois ans plus tard, le Mur tombait, une des deux forces en compétition se morcelant, chacun espérait que cela allait calmer un des principaux sujets de tensions dans le monde. Il y avait bien assez à faire pour réparer les dégâts, accumulés sans y prendre garde. Les diverses populations avaient largement du pain sur la planche pour retrouver un certain équilibre, après tous ces changements dans les rapports de force, avec de surcroît en bandoulière, un début de web à apprivoiser. Personne n’avait pensé qu’on allait devoir encaisser un 11 septembre inaugurant le nouveau siècle, évènement qui ajouta une nouvelle donne dans l’équation: on devait déjà être très attentif, en permanence, à tous les extrêmes, politiques, financiers et climatiques, dorénavant c’est un extrême religieux qui s’invitait dans l’agenda.

J'ai tant reçu de la vie, de joie, de tendresse, de plaisir, d'amitié, de bonheur, de savoir, que ma seule angoisse est de n'avoir pas su donner assez avant de m'endormir… Jean Marais

Aujourd’hui les enfants d’alors, arrivés au seuil ou de plein pied dans leur temps de retraite, voient la multiplication des fronts tièdes, parfois chauds, alignés aux pieds de leurs enfants et petits-enfants. À leur corps défendant, ils sentent avoir été acteurs de ce grand embrouillamini, sans d’autres choix que de s’y embarquer, souvent inconsciemment, dans une monumentale machinerie qui les a poussés à avancer sans relâche dans sa direction. Ce mouvement rapide ne leur laissait que peu de temps pour réfléchir et tenter d’en trouver le frein. Par ailleurs, à quelques exceptions près, s’ils souhaitaient descendre du train, ils avaient de forts risques de finir sur la paille.

Toute angoisse est imaginaire; le réel est son antidote. André Comte-Sponville

Aussi, à la mesure de leur énergie restante, ils voudraient bien aider à colmater les brèches, et apporter leur soutien aux forces vives actuelles, mais l’air de rien, ils sentent bien, dans une logique naturelle, qu’ils ont de moins en moins voix au chapitre. Et pourtant, à part ceux qui se voient hors course, préfèrent leur confort mental et s’installer la tête dans le sable, les autres souhaiteraient apporter leur aide, partager leurs analyses et participer à trouver des solutions aux défis qui assaillent les générations suivantes.

À cet égard, les compétences de tous ne seraient pas de trop, et l’empathie générale unissant tous les âges serait une précieuse base de travail pour la suite des opérations. Mais il est vrai que le brouillard actuel n’en facilite pas la voie.

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