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La secrétaire américaine au Trésor, Janet Yellen, a affirmé au début du mois d’avril la volonté des États-Unis de fixer un taux minimal d’imposition des entreprises au plan international. L’objectif est de mettre fin «à cette course vers le bas» à laquelle se livrent nombre de pays en proposant aux sociétés des taux d’imposition toujours plus faibles pour les attirer sur leur territoire. L’administration Biden, qui veut financer un plan massif d’investissement pour relancer l’économie, se propose d’augmenter de 10,5% à 21% le taux plancher d’impôt sur le bénéfice des entreprises américaines.
Des pays tels que la France et l’Allemagne soutiennent une telle initiative, sans qu’ils se soient pour le moment prononcés sur le taux de cet impôt. Le FMI encourage aussi une telle mesure car les gouvernements sont confrontés à une évasion fiscale à très grande échelle et à un transfert massif d’argent vers les paradis fiscaux. L’économiste en chef du FMI, Madame Gita Gopinath, explique qu’elle est préoccupée par cette concurrence qui «réduit l’assiette fiscale sur laquelle les gouvernements peuvent percevoir des revenus et effectuer les dépenses sociales et économiques nécessaires». Les ressources fiscales qui finissent dans la bourse des plus riches et des entreprises multinationales pénalisent les États.
Cette harmonisation fiscale vise à résoudre le problème posé par les géants du numérique qui pratiquent l’optimisation fiscale en établissant leur siège dans les pays où les taux d’imposition sont les plus faibles.
Christine Dellsperger, dans le numéro du journal d’ATTAC d’avril 2021, signale une étude récente du Tax Justice Network (Réseau pour la justice fiscale) qui met en évidence l’immense quantité de revenus qui sont mis à l’abri du fisc au niveau mondial. Ainsi, «au total, plus de 427 milliards de dollars de revenu fiscal annuel sont perdus par les stratégies d’abus fiscaux. Les multinationales sont responsables pour 245 milliards de pertes, les individus riches pour 182 milliards. C’est la première fois qu’une étude de cette importance et précision a pu être réalisée grâce aux données enfin rendues publiques par l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique) et cela après deux décennies de pression exercée par des ONG.» Plus loin elle constate: «Les pays riches perdent 382 milliards de dollars par année, les pays pauvres 45 milliards. Pour ces derniers toutefois cette perte pèse plus lourdement. Elle correspond à environ 52% de leur budget santé tandis que pour les pays riches ce ne sont qu’environ 8%».
Concurrence dévastatrice
La concurrence fiscale est l’instrument favori de nombreux États et plus particulièrement des paradis fiscaux. La Suisse n’est pas en reste, la plupart des cantons pratiquent les baisses fiscales qui sont aussi alléchantes pour les grandes fortunes et les multinationales que désastreuses sur le plan social et des finances publiques. Par cette pratique, les collectivités publiques se privent d’entrées considérables d’argent.
Qui n’est pas prêt à souscrire à l’invitation de payer moins d’impôts? Et ceci d’autant plus que les pouvoirs exécutifs omettent de dire qu’en pratiquant la politique des caisses vides ils ont déjà supprimé toute une série de prestations de l’État qui malheureusement continueront de disparaître si la tendance n’est pas inversée.
Pourtant, ce n’est pas de moins d’impôts dont nous avons besoin, mais de plus de partage et de solidarité si nous voulons maintenir une cohésion sociale et un respect mutuel entre générations, nationaux et immigrés, malades et bien portants, étudiants et apprentis, chômeurs et bénéficiaires du plein emploi.
Dans ce sens, l’initiative américaine mérite d’être défendue. Elle ne pourra déployer ses effets que si un large consensus se dégage au niveau international en interdisant définitivement les paradis fiscaux. Le fait que le FMI et l’OCDE, plutôt défenseurs des politiques libérales, soutiennent ce type de proposition peut aider à faire bouger les choses dans le bon sens. Une harmonisation fiscale au niveau international permettrait aux États de récupérer une manne financière dont ils ont particulièrement besoin en cette période de pandémie qui a mis à mal les finances publiques.
Tout n’ira pas sûrement aussi vite que nous pouvons l’espérer. Toujours est-il qu’avec la volonté d’agir nous pourrions passer du rêve à la réalité.
Pour conclure, reprenons les propos de Thomas Piketty: «L’impôt n’est pas une question technique. Il s’agit d’une question éminemment politique et philosophique, sans doute la première d’entre toutes. Sans impôts il ne peut exister de destin commun et de capacité collective à agir».
Philippe Lagger