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Les humains sont soumis aux contraintes vitales, les nécessités de la vie, les besoins physiologiques. Dans notre société, c’est l’activité de travail (y compris celui des employés) qui est le moyen de gagner sa vie. Hannah Arendt insiste sur le fait que le travail a partie liée avec les processus vitaux élémentaires, biologiques. Le résultat du travail né de la nécessité vitale est aussitôt consommé. Rien ne subsiste qu’un surplus de «force de travail».
Travail et consommation sont deux étapes du cycle produire-consommer du processus vital sans cesse à recommencer. La division du travail en parcelles de travail – qui s’additionnent en une force collective –, permet, ajoutée à l’automatisation, l’augmentation des cadences et des aménagements de toutes sortes, la production de masse de biens de consommation: la différence entre usure, consommation et gaspillage s’efface.
Au contraire, la fabrication d’objets d’usage, de «choses-du-monde» peut garantir la permanence d’un monde habitable. Le monde humain a une réalité; les événements qui s’y passent pourront à la fin être racontés.
Mais dans la fabrication d’un objet d’usage, la fin justifie les moyens (exproprier) et chaque fin (construire une voie) peut servir de moyen (de déplacement) dans un autre contexte. La fin de courte durée se transforme rapidement en moyen: philosophie utilitariste où utilité et sens sont indistincts.
C’est sur le marché, où tout s’échange, que tous les objets, biens de consommation ou objets d’usage deviennent des valeurs. La valeur est conférée à un objet par le domaine public. La «valeur marchande» apparaît lorsque les produits sont pris dans les échanges entre membres de la société. Tout objet, toute activité, s’ils sont évaluables, mesurables, peuvent être réduits à leur valeur marchande.
Ce n’est qu’au-delà du pur fonctionnalisme et de la pure utilité que les objets constituent un monde permanent, un sol de référence, un Umwelt habitable avec lequel l’homme-sujet incarné est en relation (à ce niveau il faut distinguer le corps physique avec ses frontières, résultat du savoir qui l’objective et sur lequel travaillent la médecine et la biologie, du corps propre, vécu, corps comme agent).
Enfin, ce qui lie les humains c’est l’action spontanée et la parole. Celui qui agit et parle révèle à l’autre son identité personnelle et unique et s’insère librement dans le monde humain. Actions et paroles constituent le réseau des relations humaines, rapports sans production d’objets. L’activité de mise en commun des paroles et des actes constitue l’espace public commun (lieu du politique et des «affaires humaines» incertaines, risquées et fragiles).
Au vu de la centralité du travail dans notre société, l'ouvrier et l'employé retraités sont relégués en marge de ce qui fait «marcher» la société; ils sont catégorisés et dévalorisés.
Lors de la brusque coupure entre les années de travail et la retraite, on les convainc qu’ils sont affaiblis et potentiellement sujets à maladie.
Eux-mêmes auront l’impression de ne pas avoir laissé de trace (tout a été consommé). De plus, selon l’idéologie capitaliste et productiviste, l’apport qui leur est dû serait une charge pour la société.
Tant qu’ils travaillaient et devaient «gagner leur pain», ils ne s’en apercevaient peut-être pas. Mais les âgés marginalisés ne peuvent se satisfaire d’un monde de consommation et utilitariste: ils ne lui trouvent pas le sens de la vie qu’ils recherchent avant de mourir.
S’ils doivent être admis dans un établissement médico-social, les gens âgés sont placés sous le régime de l’inactivité. Leurs fonctions corporelles sont l’unique objet de préoccupation du personnel (sommeil, hygiène, alimentation, digestion, évacuation). Ils sont vus comme usagers des soins dont on demande aux soignants qu’ils soient fonctionnels et efficaces. Les tâches (traduites en nombre d’actes) de ces derniers sont évaluées et comptabilisées à l’aune de la logique marchande.
Les âgés dépendants sont improductifs. S’ils sont en institution on nie leur corps-agent (initiative et spontanéité) et on ne sait pas établir autour d’eux un milieu familier à leur portée.