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Février 2019
Éclairage public: faut-il avoir peur de la nuit?
Auteur : Laurent Debrot

Depuis plus d’un milliard d’années la vie sur terre s’est développée et adaptée à un cycle jour-nuit immuable. Puis, avec la découverte du feu, l’homme s’est donné les moyens de maîtriser ses nuits en éclairant ponctuellement son environnement. Cet éclairage lui a donné un indéniable confort et un peu de sécurité. Toutefois, comme tous les animaux diurnes, il a continué durant des millénaires à trouver dans la nuit une source de protection en lui permettant de se dissimuler face à ses prédateurs.

L’arrivée de l’éclairage public durant la Renaissance a longtemps été décrite comme une avancée pour la sécurité. Cette croyance a encore la vie dure et mérite quelques nuances. L’illumination de nos villes a clairement apporté du confort et permis de prolonger les activités sociales, culturelles et économiques en soirée garantissant la sérénité de cette nouvelle vie nocturne. Pourtant, jusqu’au début du XXe siècle, les lampadaires s’éteignaient à 23 heures ou minuit, aux heures où chacun rentrait chez soi pour retrouver la quiétude de sa demeure. Le retour de la nuit dans les rues désertes était alors une mesure d’économie et de bon sens. Avec l’arrivée du gaz puis de l’électricité, c’est la modernité qui s’est imposée dans nos villes et le couvre-feu a été vu comme un retour au Moyen Age. Pourtant, au moment où la vie nocturne s’est prolongée, elle a apporté son lot de nouvelles délinquances. L’illumination des cités a alors été vue comme le seul moyen d’y faire face. C’est le grand paradoxe de l’éclairage public.

Même si quelques astronomes ont alerté l’opinion publique depuis longtemps sur les méfaits de la pollution lumineuse, ce n’est qu’au début de ce siècle qu’à leurs voix se sont jointes celles des biologistes et des médecins. Oui, l’éclairage public n’est pas seulement gourmand en énergie et financièrement coûteux, il est aussi la cause du dérèglement des rythmes chronobiologiques et de décalages sociologiques, tout comme il est parmi les responsables de la 6e extinction de masse de l’histoire de la planète. Rien que ça.

Le constat est sévère et des milliers de communes dans le monde ont mesuré la gravité de la situation en éteignant purement et simplement leur éclairage public au cœur de la nuit. En Suisse, la prudence est de mise. Mais le 5 novembre dernier, le Conseil général de Val-de-Ruz acceptait à l’unanimité moins une abstention l’extinction des lampadaires dans les 15 villages de sa vallée, de minuit à 5 heures du matin. Cet été, la commune deviendra ainsi la plus grande de Suisse à pratiquer cette mesure.

L’unanimité des conseillers généraux n’était qu’une surprise partielle, tant le terrain avait été préparé depuis plusieurs années. LAMPER, l’agence suisse pour la protection de l’environnement nocturne, a été très présente sur le terrain depuis 2012. Avec le soutien du Parc naturel de Chasseral, elle a animé des conférences publiques, préparé une exposition, accompagné les autorités communales, organisé des «fêtes de la nuit» ou encore fait découvrir aux écoliers les beautés de la nuit dans un abri antiatomique! Ceci dans le seul but de montrer que le retour de la nuit n’est pas une punition collective, mais qu’il donne une nouvelle dimension à notre environnement nocturne, celle de l’univers, donc on pourra ré-admirer les étoiles.

Aujourd’hui, la plupart d’entre nous n’ont jamais connu la nuit complète. Les enfants sont bercés dès leur plus jeune âge par un halo de pollution lumineuse. Et si ce n’est pas le cas, leurs parents ne manquent pas de leur installer des veilleuses au pied du lit.

La redécouverte de l’obscurité profonde devient un émerveillement. Notre corps nous met des ressources inattendues à disposition. Notre espace s’enrichit de perceptions nouvelles: des sons, des odeurs, des vibrations, et même des images noir et blanc que nos bâtonnets, les cellules de la rétine, nous permettent de voir dans un environnement éclairé par quelques étoiles.

Faisant échos aux interventions remarquées de Micheline Calmy-Rey et Suzette Sandoz dans une émission1, qui disaient que «des zones mal éclairées étaient dangereuses, surtout pour les femmes…», une autre émission, Quinze Minutes2, donnait la parole à une habitante du Locle. Celle-ci témoignait se sentir plus en sécurité en dehors des zones éclairées de la ville, lorsqu’elle promenait son chien tard la nuit. En effet, elle estimait que l’obscurité lui offrait la discrétion lui permettant d’être à l’abri de personnes mal intentionnées. La lampe de poche, qu’elle avait toujours avec elle, lui permettait de s’éclairer en cas de besoin. La maîtrise de son éclairage est pour elle une source de sécurité.

Pour une période d’essai menée durant 6 mois dans le village de Fontaines, le Conseil communal a pris la décision assez surprenante d’éteindre l’éclairage dès minuit alors que le dernier bus venant de Neuchâtel n’avait pas encore passé. La plupart des personnes interrogées dans ce même bus ont, d’une part, plébiscité le principe de l’extinction de l’éclairage au cœur de la nuit, mais elles ont surtout estimé que de rentrer sans lumière tard le soir n’était pas un problème. Une enseignante qui abordait ce thème avec des étudiants d’une école professionnelle les a entendus dire, d’une manière narquoise, que les jeunes actuellement avaient tous une lampe sur leur smartphone et qu’il n’était pas nécessaire de maintenir allumés des centaines de lampadaires pour leurs rentrées tardives. L’éclairage généralisé serait-il une affaire de vieux?

Plébiscitée par 86% de la population de Val-de-Ruz, l’extinction de l’éclairage pourrait bien se banaliser ces prochaines années, pour le plus grand bonheur de notre biodiversité et de la beauté de nos nuits.


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