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En Suisse, la crise boursière de 1987 a précipité les investisseurs sur un marché immobilier en surchauffe. De 1988 à 1990, les prix se sont envolés et les taux hypothécaires ont explosé, de 3,5 à 7,0%. De 1993 à 1999, un krach immobilier s’en est suivi, qui a entraîné 40% des établissements financiers du pays dans sa chute. Il a fallu recapitaliser la Banque Cantonale de Soleure, de Berne, du canton de Vaud et sortir l’immobilier du bilan de la Banque Cantonale de Genève (BCGe). A la fin des années 90, les grandes banques, dopées par une concentration sans précédent, se redéploieront à l’international, misant sur l’immobilier titrisé états-unien à haut rendement. On connaît la suite…
Le cycle frénétique de la bulle immobilière caractérise le capitalisme contemporain. Les investissements excédentaires, qui ne trouvent pas à s’employer de façon rentable dans la production de marchandises ou de services, sont périodiquement redirigés vers la spéculation foncière par le truchement des institutions financières, conduisant à des dévalorisations brutales à répétition. C’est ce qui est arrivé en Suisse dans les années 90, lorsque quelque 40 milliards d’actifs immobiliers sont partis en fumée. A la fin de cette décennie, à Genève, la BCGe se trouvait ainsi en possession d’un portefeuille immobilier de 5 milliards de francs qui n’en valait sans doute pas la moitié. Des spéculateurs avaient ainsi tiré parti de la passivité, voire de la complicité des dirigeants de cet établissement.
Qui allait payer les pots cassés? Au Conseil d’Etat, le radical Guy-Olivier Second et la socialiste Micheline Calmy-Rey avaient un plan: transférer les «actifs pourris» de la BCGe à une fondation de droit public à leur valeur de bilan, charge à l’Etat de les réaliser sur la durée en minimisant les pertes escomptées. Le 19 mai 2000, afin d’éviter la faillite de la BCGe, réputée imminente, une majorité qualifiée du Grand Conseil soutenait ainsi un projet de loi créant une Fondation de valorisation des actifs de la BCGe, munie de la clause d’urgence, empêchant tout référendum populaire. Les dispositions légales adoptées dans l’urgence n’établissaient pas de façon limpide comment les pertes encourues, difficiles à estimer, seraient soldées. Beaucoup plus grave: les crédits indispensables au financement de ces pertes colossales ne seront jamais soumis au vote du Grand Conseil.
Après 9 ans d’activité, la Fondation de valorisation des actifs de la BCGe a été dissoute, abandonnant à l’Etat des pertes de 2 milliards et des frais de 375 millions. Pour assurer le financement de ces énormes charges, l’Etat a dû recourir à l’emprunt et la dette cantonale s’est alourdie de plus de 3 milliards, intérêts compris. Pourtant, les montants versés n’ont jamais été considérés comme des subventions à fonds perdus; ils représentaient des avances remboursables, faute de quoi ils auraient constitué une immense donation à la banque, non déclarée aux impôts. L’aide massive reçue par la BCGe est une dette de la banque envers l’Etat. L’aide versée par l’Etat est une créance de l’Etat contre la banque. Sinon, il s’agirait d’une spoliation aussi massive qu’intolérable du patrimoine public.
L’initiative populaire constitutionnelle lancée par Ensemble à Gauche au printemps 2018 prévoit l’inscription à l’actif de la banque d’un compte de régularisation, et à son passif d’un prêt subordonné correspondant aux montants avancés par l’Etat, ainsi qu’aux intérêts dus. La banque se voit ainsi accorder le temps nécessaire à leur remboursement par annuités selon les possibilités offertes par ses résultats annuels, sur 30, voire 40 ans. Une disposition assure le versement prioritaire d’un dividende aux actionnaires (principalement l’Etat et les communes) tout en permettant de renforcer progressivement les fonds propres de la Banque.
Dès les premières aides de l’Etat, la BCGe a affiché une croissance de son produit brut, souvent bien supérieure à celle de ses pairs. Ces résultats ont été, bien entendu, artificiellement dopés par l’absence de rémunération des capitaux reçus, d’ailleurs non inscrits à son bilan, et par leur non remboursement. Notre plan de régularisation les y introduit très progressivement, par annuités. De son côté, l’Etat n’a pas pu rembourser les emprunts qu’il a contractés et qui font partie de sa dette globale. Cette partie de la dette liée au sauvetage de la BCGe ne cesse de grossir avec le cumul de ses intérêts annuels: elle dépasse 3 milliards de francs à fin 2018, soit plus du quart du montant total. Elle occasionne une saignée toujours croissante du budget de l’Etat, actuellement d’un montant d’environ 50 millions par an, en raison d’un taux d’intérêt historiquement bas, qui ne peut qu’augmenter fortement à l’avenir.
De la part de l’Etat et des contribuables genevois, amener la BCGe à rembourser sa dette envers eux revient à prélever une part des bénéfices de cet établissement florissant pour compenser l’énorme ponction qu’il leur a imposé lorsqu’il menaçait de faire faillite, au printemps 2000, risquant d’entraîner dans sa chute nombre de petits épargnants et de secteurs de l’économie locale. Cela revient aussi à sortir d’une situation inacceptable sur les plans tant de la démocratie que de la justice sociale. La BCGe a annoncé qu’elle plaiderait l’invalidation de notre texte pour éviter que notre proposition ne soit soumise au suffrage populaire. Nous ne nous attendions pas à autre chose de sa part et nous sommes prêts à lui répondre sur ce terrain. Elle n’échappera pas à ses responsabilités.
Jean Batou
(membre d’Ensemble à Gauche)