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Le 14 juin 1981, la Constitution fédérale avait fait de l’égalité des salaires un élément particulièrement prépondérant et stable de l’égalité entre les sexes en la consacrant explicitement. Toutefois, les effets de ce principe sur la réalité salariale des femmes n’ont que très partiellement tempéré les discriminations. Pour les femmes, la ségrégation sexuelle dans le marché du travail reste omniprésente: 20% de salaire en moins que les hommes, postes précaires, temps partiels et retraites à la baisse.
Alors que les travailleuses étaient déjà particulièrement réticentes à faire valoir des prétentions en justice, le législateur suisse a renoncé, à l’époque, à se doter d’une autorité compétente pour lui faire conduire une enquête ou déposer plainte en cas d’indices de discrimination, à l’image de ce qui se fait aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne. Pour remplir le mandat constitutionnel, le législateur a préféré édicter une loi sur l’égalité (LEg) assortie de règles procédurales et d’encourager l’invocation de l’égalité et sa mise en oeuvre par le biais du contentieux judiciaire et de l’autonomie privée. En 2006, soit dix ans après son entrée en vigueur, l’efficacité de la LEg était d’ores et déjà remise en cause.
Dans le secteur privé, où les actions sont rares en raison du manque de transparence sur les salaires et de la peur des licenciements, la LEg n’a que faiblement contribué à résorber la discrimination salariale. La loi ne prévoit pas qu’il puisse exister une autorité qui veille sur l’application de la norme constitutionnelle. Tout repose sur l’invocation du droit de recours subjectif des femmes qui, bien souvent, renoncent à intenter une action. En outre, les sanctions restent légères de sorte que certains employeurs privés ne sont guère incités à remédier aux discriminations malgré un certain nombre de procès exemplaires qui ont eu des résultats positifs. Par ailleurs, la maxime inquisitoire et l’administration des preuves sont perçues comme défaillantes, les conditions pour rendre une justification crédible semblent, quant à elles, très difficiles à réaliser dans la pratique.
Outre l’approche judiciaire prévue par la LEg, la Confédération, les cantons et les communes ont pris ces dernières années différentes mesures contre les discriminations salariales. La plus convaincante aura été celle effectuée dans le cadre du contrôle des marchés publics où la Confédération s’engage à ne signer des contrats qu’avec des entreprises qui respectent l’égalité salariale et qui recommandent aux soumissionnaires de faire une déclaration spontanée. Depuis l’année 2015, les contrôles effectués par le Bureau fédéral de l’égalité (BFEG) ont été multipliés par dix (30 contrôles par année en 2015). Malgré l’augmentation spectaculaire de ces contrôles, cette démarche reste néanmoins limitée car, excepté le domaine des marchés publics, le BFEG ne dispose pas de compétences de contrôle et de mise en application en la matière. Seule une petite partie de la multitude d’entreprises auxquelles la Confédération attribue des mandats est contrôlée. Par ailleurs, l’effet préventif sur les employeurs privés en dehors des contrats touchant l’Etat reste faible.
Face à ces insuffisances, les initiatives politiques et parlementaires ont été nombreuses. Dans le cadre du programme de législature 2011-2015, le Parlement a requis du Conseil fédéral qu’il soit désormais tenu de se fixer comme objectif de renforcer les mesures de lutte contre la discrimination salariale. Dans un premier temps, celui-ci a misé sur une approche incitative proposée par les partenaires sociaux en développant le Dialogue sur l’égalité des salaires dans le but de faire participer une centaine d’entreprises à l’évaluation salariale sans que l’Etat n’ait de mesures spécifiques à prendre. Instauré dès 2007 pour cinq ans, cet instrument incitatif s’est révélé cependant décevant car il n’a pas permis d’atteindre les objectifs fixés. Seules 51 entreprises, dont la moitié appartenaient à l’Etat ou en étaient proches, ont participé à la démarche.
Face à ce constat d’échec du contrôle volontaire, le Conseil fédéral s’est donc ensuite orienté sur les outils contraignants proprement dits en présentant le 18 novembre 2015 un avant-projet de révision de la LEg assorti des axes suivants:
• instauration d’un seuil avec l’obligation d’effectuer des analyses de salaires internes pour les entreprises avec 50 travailleurs et travailleuses et plus en moyenne annuelle; • utilisation d’une méthode d’analyse des salaires reconnue telle que l’analyse de régression – sur laquelle repose l’instrument Logib – est la pierre angulaire méthodologique de la procédure de contrôle; • contrôle de l’analyse par des organes de contrôle externes (réviseurs agréés ou partenaires sociaux) soumis à des exigences spécifiques. Par ailleurs, le projet prévoit l’obligation pour les entreprises cotées en bourse de faire figurer l’analyse dans l’annexe au bilan. Pour les entreprises non cotées, une simple information des résultats aux travailleuses et travailleurs suffit.
Cet avant-projet du Conseil fédéral a bien pour avantage de lever enfin le tabou des mesures contraignantes. Toutefois, la discrimination en matière de salaires reste souvent non reconnue et les instruments préconisés risquent bien de rester largement insuffisants. Plusieurs études démontrent en effet que les législations contre les discriminations salariales ont plus d’efficacité lorsque les organes de contrôle disposent de suffisamment de compétences. Pour aller plus loin et compte tenu de l’expérience observée dans les pays voisins, trois mesures pourraient être proposées en se fondant sur l’approche de contrôle pour pouvoir obtenir des impacts concrets: l’obligation de procéder à des contrôles réguliers des salaires, la création d’une autorité de contrôle indépendante pour l’égalité salariale et une transparence salariale claire et interne.
Le Conseil fédéral doit aujourd’hui clairement aller plus loin car les instruments de contrôle contraignants de l’égalité salariale sont aujourd’hui largement documentés et légitimés, y compris par les entreprises. En effet, dans le cadre d’une récente étude auprès des acteurs du monde économique, 63% des entreprises admettaient ne pas avoir effectué d’analyses salariales alors que 50% d’entre elles considèrent que les mesures étatiques sont désormais nécessaires. Parce que les discriminations salariales ne sont pas des phénomènes résiduels ou anciens et qu’elles demeurent un mécanisme quotidien qui situe les hommes et les femmes dans un rapport d’inégalité criant, il est aujourd’hui nécessaire de saisir l’opportunité de ces instruments pour agir.
Cesla Amarelle
Conseillère nationale, professeur de
droit à l’Université de Neuchâtel