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Octobre 2015
Migration, identité, peur et espoir
Auteur : Hélène Küng

On m’a demandé récemment: «Que pensez-vous de l’arrivée de réfugiés musulmans en grand nombre en Suisse? N’est-ce pas une menace pour l’identité chrétienne de la Suisse? N’y a-t-il pas un risque de renforcement de l’extrémisme islamiste?»

Le sentiment de «menace de l’identité chrétienne» est présent du fait de la diminution massive, en termes de démographie, de la population «chrétienne» en Suisse, la part de population se disant catholique ou protestante dans les recensements. Cette diminution démographique est en grande partie le résultat de l’évolution de la société vers une sécularisation, vers une diminution de l’«appartenance religieuse», en particulier l’appartenance confessionnelle héritée de la famille. Ce phénomène dure depuis trois décennies au moins. La diminution de la proportion de personnes se disant «chrétiennes» dans les recensements fédéraux est davantage le résultat de cette évolution que d’une immigration importante de personnes d’autres religions. Parmi les immigrants – quelle que soit la raison de leur venue – il y a une variété d’enracinements: chrétiens de diverses confessions, autres religions, absence de religion – groupe en augmentation aussi parmi les confédérés.

L’«identité chrétienne» de la Suisse est une notion très relative. L’identité confédérale s’est construite «au-dessus» des confessions chrétiennes, voire contre elles, du fait du risque d’implosion que les tensions entre catholiques et protestants ont représenté durant toute la construction historique de la Confédération suisse.

Lors des récentes votations sur les questions d’asile ou plus généralement d’immigration, la majorité votante du peuple suisse a systématiquement voté à l’encontre des recommandations tant de la Conférence des Evêques que de la Fédération des Eglises Protestantes. Les campagnes des œuvres d’entraide d’enracinement chrétien en Suisse (Action de Carême, Pain pour le Prochain, Caritas, Entraide protestante) sont soutenues par une minorité convaincue; mais leurs recommandations notamment en politique fédérale pour des mesures en faveur des droits de l’homme, pour la préservation et une juste répartition des ressources alimentaires de la planète etc., n’obtiennent pas un appui majoritaire aux Chambres fédérales, loin s’en faut.

Tout cela questionne la notion d’«identité chrétienne» de la Suisse.

Pour sa survie économique et démographique, la Suisse a vitalement besoin d’immigration. La question n’est pas «comment rendre la Suisse moins attractive», mais: comment faire en sorte que la Suisse soit plus attractive et que les forces dont elle a besoin, en particulier d’immigrantes et immigrants en âge de travailler, puissent s’y installer et y travailler sans être confrontées à un véritable parcours du combattant administratif et législatif?

Il y a toujours quelque chose à faire pour bâtir un monde plus humain, pour tendre la main à celui qui se noie près de nous.
Patrice Favre, Echo Magazine

Le domaine de la santé, les soins aux personnes âgées, l’agriculture, la restauration, le bâtiment… autant de domaines fortement dépendants de la main-d’œuvre étrangère pour pouvoir assurer leurs services à la population (en majorité suisse si l’on pense notamment aux personnes âgées).

Que dire alors de la question de l’arrivée de personnes de tradition musulmane? La présence d’une importante communauté originaire d’ex-Yougoslavie, venue de longue date en Suisse en majorité pour répondre à un besoin de main-d’œuvre, témoigne d’une tradition musulmane très éloignée des clichés en vogue sur l’«extrémisme islamiste». Cet extrémisme existe, il est très minoritaire dans l’ensemble du monde musulman dans sa grande diversité – mais cet extrémisme peut croître lorsqu’il est utilisé à des fins politiques. Que dirions-nous si les protestants, y compris genevois, vaudois, neuchâtelois… étaient tous considérés comme identiques aux extrémistes protestants d’Irlande du Nord (qui eux-mêmes ne peuvent pas prétendre représenter l’entier du protestantisme Nord-Irlandais!)??

Ayant rencontré de nombreuses personnes musulmanes de différents pays d’Afrique et notamment d’Afrique de l’Ouest, des Balkans, de Turquie, du Proche-Orient, du Maghreb… j’ai entendu d’elles ce cri du cœur: nous voulons vivre en paix, nous avons vécu en paix pendant des décennies avec nos voisins chrétiens, nous ne nous reconnaissons pas dans ces mouvements soi-disant musulmans qui prétendent que c’est impossible de vivre ensemble, et qui veulent nous obliger à faire la guerre; ils menacent autant notre identité et notre sécurité que celles des chrétiens.

Bien des musulmans d’ex-Yougoslavie auraient eu de quoi être radicalisés, après les sévices subis par eux-mêmes, par leurs proches ou par leurs compatriotes, du fait de l’idéologie guerrière soi-disant «chrétienne» qui a entraîné la mise à feu et à sang de la Bosnie, les camps, les viols en masse, la destruction de Srebrenica et des localités à l’entour, le siège de Sarajevo… Or ce que j’ai entendu d’eux c’est «nous avons pu vivre ensemble et nous entendre entre musulmans, serbes et croates, nous ne nous reconnaissons pas dans les va-t-en-guerre qu’ils soient musulmans, serbes ou croates…»

Ils et elles m’interpellent comme chrétienne: mon premier acte de foi c’est de refuser qu’au nom de ma religion, d’autres personnes soient opprimées. Si je l’accepte, c’est vraiment que je n’ai rien compris à celui qu’on appelle «Dieu»!

Un chemin d’espoir, vers moins de crainte et plus de sécurité, c’est de travailler à l’accès équitable aux ressources pour toutes et tous, autochtones et immigrants. Combattre les bas salaires, les écarts salariaux insensés et indécents, les prix trop bas des matières premières… un acte de foi au nom de mes compatriotes comme de nos hôtes et voisins d’ailleurs.

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