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Note prélimimaire — Si je mets USA, c'est délibéré. Pour moi USA, c'est l'étiquette de marque chaque fois qu'il est question de l'armée américaine et du système de violence américain. C'est ce que partout dans le monde les guerriers américains portent sur leurs manches et leurs treillis. "États-Unis", je le garde pour cette société quand on parle de la société civile. Je tiens beaucoup à cette distinction.
Il est beaucoup question du «nucléaire iranien» ces jours. Cela dure en fait depuis des années. Selon le secrétaire d'État des USA John Kerry, un accord visant à empêcher l'Iran de se doter de l'arme nucléaire «rendrait le monde plus sûr». Laurent Fabius, de son côté, exclut l'accès de l'Iran à l'arme nucléaire. Quant à Benjamin Netanyahu, il voit en l'Iran «le régime le plus dangereux du monde» qui cherche à se doter de l’«arme la plus dangereuse du monde». Tel est le climat général des informations dont nous sommes gratifiés en permanence. Du contexte global des armes nucléaires dans le monde, on ne parle pas. Pas un mot, en particulier, sur le programme d'Israël qui pour sa part a confectionné plusieurs centaines d'ogives nucléaires «en cachette» et en toute tranquillité. Sans parler des USA qui en détiennent des milliers.
« Que les USA conservent un tel nombre d'armes nucléaires montre bien qu'ils n'ont pas l'intention d'éliminer leur arsenal. Ce qui pose cette question troublante: pour quelle raison n’importe quel autre État devrait-il restreindre ses ambitions nucléaires? »
Quel ennemi de notre civilisation a bien pu écrire des choses pareilles? L'auteur de ces paroles n'est autre que Robert McNamara, dans un article intitulé «L'Apocalypse pour bientôt», publié dans la revue Foreign Policy de mai-juin 2005. McNamara, ancien secrétaire à la défense des USA, chef de la guerre des USA contre le Vietnam, concepteur du programme d'armement nucléaire américain, président de la Banque mondiale durant 13 années. Un dur, à n'en pas douter. Et pourtant, sur la fin de sa vie, ce faucon est devenu colombe. Hélas son article a été largement passé sous silence, et bien oublié depuis. Voici des extraits de ce texte de la plus haute importance étant donné les états de service de son auteur, texte traduit par mes soins.
Une dangereuse obsession
Il est grand temps – cela n’a que trop tardé, selon moi –, que les USA cessent de fonder leur politique étrangère sur l’armement nucléaire comme à l’ère de la Guerre froide. Au risque de paraître simpliste et provocateur, je pense que la politique actuelle d’armement nucléaire des USA est immorale, illégale, militairement inutile et épouvantablement dangereuse. Le risque d’un déclenchement accidentel ou par inadvertance est inacceptable, tant il est élevé. Cette politique va à l’encontre des normes internationales visant à empêcher la prolifération des armes nucléaires. (…) Aujourd’hui, les USA ont environ 4500 ogives nucléaires offensives, contre environ 3800 à la Russie, et 200 à 400 pour la Grande-Bretagne, la France et la Chine, moins de cent pour le Pakistan et l’Inde.
Chacune des ogives américaines a une puissance destructrice égale à vingt fois la bombe d’Hiroshima. (…) Les USA n’ont jamais souscrit à la politique de «ne pas tirer les premiers». Nous pouvons en tout temps déclencher une attaque nucléaire – sur la décision d’une seule personne, le Président. (…) Toute cette situation dépasse l’entendement. Le Président est habilité à prendre en 20 minutes la décision de déclencher l’une des armes les plus dévastatrices au monde, et ce à n’importe quel moment. Une déclaration de guerre, elle, requiert un acte du Congrès. Mais pour un holocauste nucléaire, vingt minutes suffisent. (…) Nous nous sommes engagés à aller dans le sens d’une élimination des arsenaux nucléaires lorsque nous avons négocié le Traité de Non-prolifération Nucléaire en 1968. (…)
L’apocalypse
Le simple souffle d’une telle bombe et les débris envoyés dans l’espace par des vents de 380 km/h suffisent à tuer instantanément au moins 50% des gens dans un rayon de 5 kilomètres, avant même les effets des radiations et des incendies. (…) Les effets «collatéraux» de grosses frappes nucléaires seraient la mort de millions de civils. (…) Telle est la menace que des pays comme les USA et la Russie font planer sur le monde à chaque minute de chaque journée.
Une fois au poste de secrétaire à la défense, je suis arrivé très vite à ces conclusions, mais il m’était impossible de faire des déclarations sur la question en raison de mes fonctions, et ce jusqu’à ma retraite de la Banque mondiale. J’ai alors exprimé certaines de mes réflexions.
Aucune «victoire» possible
On a beaucoup dit que dans le cas d’une guerre nucléaire contre l’URSS, les USA seraient gagnants. J’ai donné suffisamment d'informations pour que ceux qui croyaient de telles choses remettent les pieds sur terre. (…) Contrairement aux théories sur l’usage limité d’armes nucléaires, j’ai exprimé le point de vue qu’il n’y a pas d’usage limité possible de ces armes. Il n’y a pas de possibilité d’empêcher des dégâts monstrueux, et il n’y a aucune garantie contre une escalade sans fin. (…) L’usage des armes est sans retour. Il causerait la destruction de nations entières. Il n’y a aucun moyen de réduire les risques à des niveaux acceptables. (…)
L’administration Bush a déclaré qu’elle n’a aucune intention de ratifier le traité d’interdiction d’essais nucléaires. Ce faisant, elle dit aux nations qui ne possèdent pas l’arme atomique: «Nous réclamons les armes nucléaires à perpétuité, mais vous, vous n’en aurez jamais une seule.»
Une seule conclusion
Il est temps de passer au débat réel. Quand ce débat aura lieu, je crois que sa conclusion sera identique à celle à laquelle je suis parvenu avec un nombre croissant de chefs militaires et civils: nous devons aller le plus vite possible vers l’élimination de toutes – ou quasi toutes – les armes nucléaires.
M. McNamara pose la vraie question de toute cette problématique infernale. C'est précisément ce débat que les «grandes puissances» éludent, nous laissant croire que les «bons» ont besoin de bombes atomiques pour se protéger des «méchants».