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Hans-Peter Renk est un fidèle abonné de notre journal. Militant très actif à SolidaritéS, il est bibliothécaire retraité. À ce titre, il possède une vaste culture historique dont il a souvent fait profiter l’essor. Aujourd’hui, il nous communique une précision intéressante.
Dans son article «Utilité de la presse aujourd'hui», Pierre Lehmann écrit ce qui suit: « Mais le Canard dérange parfois en haut lieu et d'aucuns ont pu souhaiter sa disparition. On dit même qu'on avait suggéré à de Gaulle de lui tordre le cou, ce que de Gaulle avait refusé en déclarant qu'il ne voulait pas 'passer pour un con'... ». Il est connu qu'on ne prête qu'aux riches. Mais dans ce cas précis, ce propos haut en couleur ne peut être attribué à de Gaulle.
Son véritable auteur est un certain Robert Lacoste, membre du parti socialiste SFIO et collaborateur de Guy Mollet (qui fut secrétaire général de ladite SFIO et président du Conseil en 1956-1957, à l'époque de la guerre d'Algérie). Après la visite mouvementée (1956) de Guy Mollet en Algérie, où il fut bombardé à coups de tomates par une foule de «pieds noirs» (ressortissants français établis en Algérie depuis plusieurs générations), Robert Lacoste fut nommé gouverneur général de l'Algérie (à la place du général Catroux, pressenti par Guy Mollet et honni des «pieds noirs», car suspecté de vouloir œuvrer pour une solution politique à la «guerre imbécile et sans espoir» menée par l'armée française depuis l'insurrection de novembre 1954). A ce titre, Robert Lacoste couvrit les exactions, la torture pratiquée par la division parachutiste du général Massu pour démanteler les réseaux du Front de libération nationale (FLN) à Alger.
Toujours bien renseigné, le Canard enchaîné dénonça les tortures et les tortionnaires (dont un certain lieutenant Jean-Marie Le Pen, qui a fait depuis la carrière que l'on sait). Mais sous la faconde de Robert Lacoste – «Poursuivre le Canard? Je ne veux pas passer pour un con!» –, il y avait une réflexion plus tordue: Lacoste savait très bien que les faits dénoncés par le Canard étaient exacts. S'abriter derrière le «secret défense» équivalait donc à donner raison au Canard. Or, la ligne officielle de l'armée et du gouvernement consistait à nier les faits, et telle aurait été leur ligne de défense dans un procès Lacoste vs. Canard. Nul doute que le Canard aurait présenté des preuves tangibles de ses affirmations, ridiculisant les dénégations officielles. Lacoste ne voulait surtout pas courir un tel risque.
Ceci dit, il n'y a pas de fumée sans feu, d'où la réflexion de Pierre Lehmann, qui confond cet épisode avec un autre. En août 1944, après la libération de Paris par la 2e Division blindée (2e DB) du général Leclerc, de Gaulle passa en revue le détachement – «la Nueve», formée en majorité de républicains espagnols réfugiés en Afrique du Nord, qui s'étaient enrôlés dans la 2e DB et y combattirent courageusement – entré le premier à Paris. Sur la jeep du capitaine Dronne, commandant de cette unité, on pouvait lire cette phrase sans équivoque: «Mort aux cons!» Commentaire laconique du général de Gaulle: «Vaste programme...».