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Beaucoup d’observateurs ont noté, avec pertinence, le rôle joué par les réseaux sociaux – et plus généralement par l’internet – dans les révoltes populaires de ces dernières années. En 2009, la «révolution Twitter» a secoué l’Iran: l’organisation des importantes manifestations a été rendue possible, ou du moins facilitée, par l’utilisation de ce nouvel outil. Le Printemps arabe a sans doute également pris l’ampleur qu’on sait grâce à l’utilisation de canaux numériques peu contrôlables par les pouvoirs en place. Au-delà de la technologie utilisée, c’est bien la faculté de diffuser une information alternative, dissidente, qui a permis à ces mouvements de gagner en ampleur.
La question de la liberté d’expression est au cœur de ces récentes contestations. En réprimant cette liberté par un contrôle strict de l’information et une répression du débat démocratique, ces régimes autoritaires ont créé des foyers de contestation; la révolte iranienne, le Printemps arabe ou, plus récemment, le Mouvement des parapluies à Hong Kong auraient-ils pu se produire sans Internet? Sans chercher à répondre à cette question, force est de constater qu’une nouvelle liberté d’expression a permis l’émergence de courants démocratiques, même si ceux-ci sont parfois incomplets, confus, voire contradictoires.
Le pouvoir helvétique n’est pas un pouvoir autoritaire. La situation du peuple suisse n’est pas, loin s’en faut, comparable avec celle vécue par les Iraniens ou les Chinois. Nous faisons pourtant l’hypothèse que la liberté d’expression est ici comme ailleurs consubstantielle à la démocratie. Or pour que celle-ci puisse exister, certaines conditions doivent être remplies. Les médias doivent être libres, c’est-à-dire non censurés par le pouvoir. Ils doivent également être suffisamment nombreux pour représenter les grands courants d’idées qui traversent la population. Ils doivent enfin être indépendants – financièrement et politiquement – des grands intérêts économiques. En Suisse, la première condition est remplie: il n’existe pas de censure a priori sur les médias (ce qui n’exclut pas que des pressions puissent s’exercer, notamment sur les organes de service public). Mais la situation est nettement moins tranchée pour ce qui concerne les deux autres prémices.
Dans la presse écrite, la concentration désormais presque achevée des titres et des groupes s’oppose frontalement aux deuxièmes et troisièmes conditions de la liberté d’expression. Le paysage romand de la presse écrite est aujourd’hui largement dominé le duopole Tamedia-Ringier. La presse quotidienne, les journaux régionaux comme les magazines sont édités par ces deux groupes, à quelques exceptions près. Par le truchement des conseils d’administration, ce sont deux familles, les Coninx et les Ringier, qui possèdent la quasi-totalité de l’édition de presse écrite dans notre pays. Cette concentration, qui serait jugée cartellaire et problématique dans n’importe quel autre secteur économique, devient franchement inquiétante dès lors qu’il est question de médias, et donc de possibilité d’influence politique. S’il n’est évidemment pas question ici de parler de lavage de cerveau, il serait tout aussi absurde d’estimer que la presse ne joue aucun rôle dans la formation des opinions. Dès lors que des idées ne sont plus diffusées que de manière confidentielle, elles deviennent naturellement moins légitimes, moins facilement pensables. Le débat perd de sa substance, il n’y a plus que des contradictions de façade.
S’alarmer de la disparition de la presse indépendante, de la qualité en déclin des titres dominants ou des pressions exercées sur les journalistes – toujours plus réduits au rôle de «rédacteurs» – est une première étape, nécessaire mais insuffisante. Les citoyens doivent prendre leurs responsabilités: la qualité de la presse qui nous est proposée dépend directement du choix et du comportement de tout un chacun. Ainsi s’abonner à un titre indépendant, quel qu’il soit, c’est faire preuve d’esprit critique, mais c’est aussi lutter pour le pluralisme, la liberté de la presse et, en dernière analyse, la démocratie. Les journalistes également sont partie prenante dans les contours que prend le champ médiatique; ils devraient sans doute affirmer et revendiquer avec détermination la dignité de leur profession, à travers l’action collective, car ce n’est que collectivement que la corporation saura conserver, voire regagner, les conditions nécessaires au bon exercice du journalisme. L’Etat enfin a un rôle de premier plan à jouer. Face à la disparition accélérée du pluralisme médiatique, il doit s’engager dans un subventionnement volontariste de la presse indépendante, seul mécanisme capable d’intervenir efficacement contre la logique délétère du marché. En dehors de sa fonction informative, la presse constitue l’instrument privilégié de formation de l’opinion publique. Laisser la presse s’aseptiser, c’est cultiver le «prêt-à-penser» et compromettre la possibilité d’un choix politique informé. L’enjeu est trop important pour laisser le marché «réguler» ce secteur.
Voir aussi l’article de la page 3 qui mentionne Pascal Décaillet parlant en termes élogieux de Gauchebdo.