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Vous voilà dans une boîte de nuit, lent et gauche, sans possibilité de bouger vos jambes, souriant aux danseuses pour leur signifier que vous appréciez leurs évolutions. Certaines, l’âme infirmière, voient un homme à servir. Et pleines de compassion, proposent un verre ou une aide pour déplacer votre chaise roulante (elle est électrique, mais ce détail n’a pas été enregistré). D’autres se méfient: serait-ce un pauvre pervers frustré qui ne peut plus bouger (son sexe sans doute plus non plus)? Heureusement, certaines personnes passent outre à ce sentiment premier – qui relève souvent de la pitié – et acceptent une danse ou du moins un tour de piste.
Mais zut, je viens de commettre l’erreur fatale: renforcer les préjugés, en noircissant le trait, renforçant l’image des handicapés geignards. Alors qu’il est inutile de s’appesantir sur son sort.
Verena Bentele, championne aveugle de biathlon, aujourd’hui politicienne à Munich, relève avec gourmandise qu’il faut choisir ses mots pour parler des handicaps. Celle qui a gagné compétitions et médailles – son palmarès force l’admiration – sait la valeur des récompenses, des encouragements. Son credo: faire ressortir les aspects généreux des personnes avec handicap, éduquer les valides, informer sur les aides possibles, et surtout, ne pas focaliser sur les différences, mais valoriser les compétences. Car les personnes avec handicap ont de belles capacités!
Le signataire de ce billet, ne pouvant plus être journaliste couvrant les manifs (les gaz lacrymogènes ne conviennent guère à mes poumons rétrécis), j’ai développé mon sens de l’organisation et du contact. Profitant de la vie changée par ma rente AI – profiter dans le bon sens du terme, soit être en mesure de tirer parti avec bénéfice pour le bien commun – j’ai du service dans diverses organisations comme bénévole, dans des fonctions correspondant en gros à mes compétences (je l’espère du moins).
Reste un hic: que savent les autres de cette démarche?
«La différence est un handicap dès lors que les autres en ont conscience; vous rend dangereux et effrayant à leurs yeux; vous condamne à la solitude.» (Laurent Botti, Un ticket pour l’enfer).
Mieux que l’idée à l’emporte-pièce de Sartre qui affirmait dans sa pièce Huis Clos que «l’enfer c’est les autres» (parce qu’ils sont en quelque sorte des miroirs déformants de nous-mêmes), c’est bien la différence, voir l’effroi dans le regard de l’autre qui scelle votre sort de personne avec handicap, dès lors que votre limitation est visible. L’Autre voit vos cannes, vos tuyaux, votre chaise roulante, vos yeux vides ou votre bave. Qu’il y ait derrière une femme ou un homme pensant, rigolant, pleurant ou simplement désireux de contact humain, échappe souvent au valide.
Concluons sur une bonne nouvelle: vous ne connaissiez pas Verena Bentele, belle découverte! Voici une anecdote qu’elle aime à conter:
Entrée dans un tribunal grâce à une rampe d’accès en pente douce, une femme pousse la porte de la pièce où siège le juge. Qui lui demande immédiatement: «Dites, Madame, où est votre avocat?». «L’avocate, c’est moi, répond la juriste en chaise roulante, mon client a un peu de retard».
Les adultes pourraient, eux, apprendre avec profit à écouter le témoignage de la personne interpellée, sans pour autant rajouter que leur conjoint, leur voisin ou parent a aussi un problème. Une empathie feinte n’est parfois que prétexte à s’épancher et geindre. Évoquons donc ce qui est encore possible, rencontres ou surprises, bonnes bouffes plutôt que maux et bobos. C’est la consigne au groupe d’oxygénées où je fais du mouvement: on cause cuisine, sport, politique ou déclaration d’impôt quand c’est la saison, mais on garde notre respiration difficile pour le pneumologue.