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Qui que nous soyons, nous avons tous une opinion bien arrêtée sur les médias, puisque participant chacun plus ou moins assidument à cette société du spectacle. Austère ou boulimique consommateur, nous ne pouvons échapper à l’inondation des messages et à son imprégnation à dose variable dans les esprits. Il ne reste plus qu’une portion congrue de liberté dans le choix du volume de bouillon qu’on accepte d’avaler, pour se nourrir d’infos, pour se divertir de tout et en tout temps.
À part quelques publications, émissions, reportages et films qui sauvent l’honneur des métiers concernés, la majorité des supports sont soumis aux lois marchandes, mise à la botte d’intérêts dits «supérieurs». Parmi les multiples métiers qui jalonnent la production, les journalistes sont les premiers à subir l’entreprise de mise au pas, dictée par le pouvoir marchand dans la presse écrite et visuelle. Pour beaucoup, leur résistance est un combat permanent et difficile et ils exercent un des métiers les plus dangereux au monde. La frustration est une constance, l’esquive un art consommé, la responsabilité lourde et le parcours pour sa survie conditionné par l’air du temps, les effets de mode, les consignes directoriales. Que tous ceux qui luttent pour préserver une véritable déontologie dans le métier trouvent ici toute ma considération: ils sont indispensables à la démocratie.
Un des constats qui m’interpelle le plus est l’invasion des écrans dans notre quotidien. Observons leur multiplication dans tous les lieux, publics comme privés, les poches, les sacs, les bus, les rues, les bureaux, aujourd’hui les tracteurs. Il n’est pas rare de voir quatre personnes dans un salon, avec trois portables sur les genoux et l’écran de télé allumée pour la dernière… quatre planètes différentes sur le même sofa, interagissant ponctuellement, se faisant sauter chacun dans le monde des autres à une vitesse qui décoiffe…
Cette extraordinaire profusion dehors, dedans, avec les oreillettes dans les esgourdes, les pouces tambourinant dessus, le nez toujours baissé, fait perdre le sens du contact. Derrière les images vraies, fausses ou trafiquées, on arrache le citoyen à ce qui l’entoure directement et lui présente des messages qui s’entrechoquent, se contredisent à tout va: conseils à l’envers du bon sens, comportements asociaux et grossiers dans les pubs, info/contre-info sans suivis. On sent bien qu’on ne devrait jamais, en tant que parent, laisser un enfant seul devant un écran mais décoder avec lui les messages distillés, le ramener à la réalité dans certains cas, l’aider à rêver dans d’autres: autant dire un travail de Sisyphe.
Je suis particulièrement perplexe pour les nouvelles générations qui, chaque année, arrivent dans le monde adulte avec des réflexes électroniques toujours plus précoces. Ils se font de plus en plus rares ceux qui auront pu, durant leur enfance, construire une cabane dans le jardin, planter des choux ou se faire une idée approximative de l’histoire humaine. On voit débarquer des jeunes fort doués pour télécharger à tour de bras, jouer avec leurs acquisitions gratuites, mais passablement démunis à faire usage de tournevis, de pincettes ou de couteau à pain. Le bon sens pratique, les connaissances premières pour développer une réflexion personnelle deviennent denrées rares; tous les médias confondus se chargent d’entretenir l’illusion de la réalité, font entrer la virtualisation du monde dans l’esprit de notre jeune public.
Cette propension à multiplier les écrans capte toutes les attentions, divertit et aspire les derniers temps libres pour réfléchir, rêver, créer. Cet état hors sol qui s’est imposé à nos enfants en particulier, mais à la société dans son ensemble, n’offre pas les meilleurs auspices pour trouver des solutions judicieuses aux grands défis qui conditionnent notre avenir.