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Des interdictions de mendicité sont prononcées dans plusieurs villes de Suisse et nous interpellent par leur radicalité. Les autorités, quant à elles, nous semblent faire preuve d'une totale et coupable insouciance face à ce que deviennent les Roms qui se voient interdire de mendier. L'Office fédéral des migrations (ODM), par Mario Gattiker, vient d'annoncer que «dorénavant les personnes demandant l'asile et provenant d'un pays sûr ne pourront pas déposer de demande d'asile. Ils auront deux jours pour quitter la Suisse». Différents pays où sévissent de fortes discriminations avérées contre les Roms figurent sur la liste des «pays sûrs»: la Roumanie, la Hongrie, la Serbie, le Kosovo, la Lituanie, etc.
Le terme «Tsigane» désigne tout un ensemble de populations nomades (originaires de l'Inde), présentes depuis cinq ou six siècles en Europe. Parmi les communautés les plus présentes en France et dans la plupart des autres pays européens, on retrouve les Manouches originaires des pays germaniques, les Gitans de la péninsule Ibérique, et les Roms des Balkans. Le terme administratif français pour désigner ces communautés est celui de «gens du voyage», même si elles ne vivent pas du tout de la même façon que les «gens du voyage français».
Le gouvernement les confond avec les Roms arrivés plus récemment, avec la chute du Mur, et qui sont des citoyens européens (de Roumanie, de Hongrie…). Ils sont venus en France pour des raisons financières et vivent le plus souvent dans une extrême pauvreté. La plupart sont là de manière transitoire. Ils n'ont pas accès au marché du travail, et vivent donc de petits boulots, de musique, de mendicité. Ils sont une toute petite minorité en France, environ 15'000, mais ce sont eux que les gens voient, car les autres sont complètement intégrés et ne se distinguent donc pas de leurs concitoyens.
En Suisse, le même problème se pose avec les Jenischs, les Tsiganes suisses, intégrés depuis plusieurs générations, alors que les Roms qui arrivent en Suisse actuellement sont les plus pauvres, méprisés et persécutés dans leurs pays d'origine (pays de l'Est et des Balkans), et qui n'ont en Suisse aucune alternative à la mendicité, faute d'un domicile fixe qui leur permettrait de travailler…
En 1749, en Espagne, une grande rafle a permis la capture de 12'000 «gitans».
En Angleterre, à la même époque, on pendait un « Gypsy » aux portes des villes pour dissuader les troupes nomades de s'installer aux abords des cités. A cette même période, on organisait des «chasses aux Gypsies» comme on chassait le gibier et exposait les trophées.
En France, la déclaration de 1682 donne ordre d'attacher «aux chaînes des galères» tous les «Romanichels» errants.
Plus tard en 1802, au Pays Basque, plus de 500 «Bohémiens», hommes, femmes et enfants, sont raflés et déportés en Louisiane par la France. Sans parler des horreurs commises à l'encontre des Roms en Roumanie et dans les Balkans.
À Lucerne, en 1471, la ville interdit aux «Zigüner» de demeurer sur son territoire. Les peines sont sanglantes: le pilori, le fouet, le marquage au fer, l'emprisonnement. Des chasses aux Tsiganes furent organisées et une récompense était donnée à l'abattage. Plus près de nous encore, en 1926, on mit sur pied en Suisse des mesures qui visaient à faire disparaître le nomadisme par le dénombrement des familles et l'éducation forcée des enfants placés dans des familles de non-tsiganes. Cette action, appelée «Enfants de la grand'route de Pro Juventute», était inspirée de la théorie néo-nazie du Dr Robert Ritter. R. Ritter dirigeait l'unité de recherche sur l'hygiène raciale, il était en possession de 30'000 dossiers de tsiganes suisses, et son idéologie était la suivante: «Pour les nazis convaincus, les tsiganes sont une menace pour le peuple allemand, et ils doivent être considérés comme nos ennemis». Tous les Tsiganes, même ceux n'ayant commis aucun délit, étaient visés par cette loi. C'est sur cette injonction et son idéologie que fut basée «l'entreprise» Pro Juventute, sur mandat du conseiller fédéral Motta, alors Président de la Confédération helvétique. Le fondateur de l'œuvre, le Dr Alfred Siegfried, exprimait clairement ses objectifs:
«Nous avons décidé de vaincre le mal du nomadisme dans sa racine par des mesures éducatives, pour mener cela à bien, il faut retirer les enfants de l'influence pernicieuse de leur famille et ainsi supprimer la présence parentale».
Partout en Europe, les dernières années ont été marquées par l'effritement des mécanismes de solidarité, progressivement remplacés par des dispositifs de contrôle et de répression des personnes les plus fragiles. Au Royaume-Uni, en Hongrie, existe désormais une série d'actes autorisés dans l'espace public: tout geste est devenu potentiellement délictueux, permettant un harcèlement arbitraire des populations indésirables.
En France, les arrêtés anti-mendicité se multiplient, le stationnement des gens du voyage relève désormais du pénal, les bidonvilles sont traités sous l'angle de l'ordre public. En Espagne, en Lituanie, aux Pays-Bas, au Danemark, en Italie, en Grèce, le même type de phénomène s'observe. En Suisse, les centres-villes voient de plus en plus d'initiatives exiger, au nom du «droit à la sécurité», l'interdiction de la mendicité dans leur périmètre.
La première observation qu'appelle cette évolution est son caractère paradoxal: la crise, conjuguée à un délitement certain des politiques de protection sociale, conduit les laissés-pour-compte à adopter des pratiques de survie : mendicité, vie en cabane, etc. Or ces pratiques de survie tendent à être interdites. Ce phénomène est amplifié par la difficulté de se défendre juridiquement pour les personnes en situation vulnérable: méconnaissance des droits, des mécanismes judiciaires, impossibilité de financement des frais d'avocat. Tout concourt à ce que le traitement policier de la misère ne soit pas limité par la protection des droits individuels.
Mais sans offrir la possibilité de subsister autrement, qu'espère-t-on ? User policiers et tribunaux à déplacer des problèmes sans les résoudre, à rencontrer toujours les mêmes individus, les mêmes familles, de squat en bidonville, de place en place ?
Ce traitement répressif des marges reflète plus globalement une gestion presque « panique » de l'espace public par les institutions. A l'heure de l'éloge de la mixité sociale, l'espace public est d'abord envisagé à travers le danger que représentent certains citoyens pour les autres: "anti-terrorisme", vidéosurveillance, etc. Tout concourt à considérer la coexistence entre les citoyens avant tout comme un problème, le rôle de l'intervention publique se bornant à dévitaliser et à neutraliser le potentiel de conflits qui peuvent s'y manifester.
C'est par plus de logements, une situation administrative claire, des droits sociaux sécurisés (la scolarisation des enfants roms malgré l'absence de domicile fixe des parents), que la misère disparaîtra de l'espace public. La police et la justice ont assez de vrais problèmes à résoudre pour ne pas perdre leur temps à réprimer les malheureux.
Un mouvement des droits civiques réconciliant le mouvement social et les défenseurs des droits à l'échelle européenne est à inventer. La pauvreté et la diversité ne doivent pas conduire à la répression et au cloisonnement, mais à la solidarité et au partage.
La misère n'est pas un crime, c'est un scandale !