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Avril 2011
Vieillir, pourquoi une maladie honteuse?
Auteur : Edith Samba

Observer la progression fulgurante de la technologie, des transformations, pour ne pas dire des révolutions générationnelles à travers l'étude du parcours de nos anciens donne le tournis. Il vaut la peine d'écouter les aînés d'aujourd'hui, nés pendant la Première Guerre mondiale, ou entre les deux guerres avec sa crise, raconter comment ils ont dû encaisser la Seconde pendant leurs jeunes années avec son lot de traumatismes, voir passer les chars à bœufs, recevoir une orange pour Noël puis accompagner l'évolution du quotidien à un rythme aussi extraordinaire.

Il y a à peine un demi-siècle, ils étaient peu nombreux à atteindre l'âge moyen d'aujourd'hui et tant qu'ils avaient encore toute leur tête, ils bénéficiaient en règle générale de la considération de tous, avaient un rôle précieux de conseillers, leur longue expérience de vie servant de repères pour les plus jeunes. Progressivement, leurs connaissances se sont trouvées noyées dans les nouvelles découvertes, les familles éclatées dans de nouvelles architectures, la spécialisation du travail réduisant les domaines de chacun. Pour couronner le tout, l'arrivée massive de l'informatique a encore accéléré le processus. Même le clivage générationnel s'est démultiplié au point que des jeunes de 25 ans se sentent déjà d'une autre génération que ceux de 20 ans.

Il est curieux d'observer que notre Histoire, petite et grande, soit enseignée d'une façon aussi décousue dans notre système scolaire. C'en est au point que trop de nos enfants pensent que leurs grands-parents ont côtoyé les dinosaures, puisqu'ils sont nés avant la «souris». Malgré leur apport constructif, les liens grands-parents – petits-enfants sont souvent malmenés, traités comme un pensum, et vont immanquablement accélérer encore l'isolement générationnel. Il est entendu que le discours du style « de mon temps» a toujours eu le don de faire fuir les générations suivantes. Pourtant les anecdotes de l'enfance des parents, si possible inédites, intéressent énormément les enfants. Cela aide chacun à se sentir intégré dans un continuum historique, extrait de la même pâte humaine. A cet égard, la mise en route de lieux d'accueil communs aux deux générations s'avère une excellente démarche, tant que le libre choix est de mise.

Aujourd'hui, les anciens subissent un changement complet de statut: il leur est clairement signifié qu'ils doivent absolument être autonomes, se débrouiller avec une multiplication de contraintes logistiques et technologiques qui n'arrêtent pas d'évoluer. Pensons simplement au tri des déchets, un véritable casse-tête pour beaucoup. Ils subissent aussi un discours qui laisse entendre qu'ils sont trop nombreux, coûtent trop cher, roulent trop lentement et devraient travailler plus longtemps. Il leur est pesant de se sentir traités comme une lourde charge par la société et de surcroît accusés de détenir une richesse disproportionnée. D'autant que personne ne se gène de pointer leurs bas de laine, laborieusement remplis, comme cible marketing, et à user de procédés abusifs pour se les approprier.

Il est entendu que ce ne sont que généralités et qu'il existe autant de situations particulières que de familles. Ceci dépend de mille facteurs, dépendants et indépendants de la volonté de chacun. On ne peut en aucun cas prétendre que leur situation est de leur seule responsabilité. Elle est le fruit d'un développement exponentiel de la médecine, de l'évolution des conditions de travail et du contexte sociologique. A ce propos, j'émets quelques doutes quand à l'affirmation que nous allons encore longtemps progresser dans le grand âge. Avec l'accumulation de produits chimiques en tous genres que nous continuons d'ingérer plus ou moins benoîtement, il serait surprenant que la courbe d'espérance de vie ne se calme pas prochainement. Il est troublant d'entendre nos enfants de 25 ans se sentir «enfants de Tchernobyl» en décomptant les multiples maux qu'ils doivent traîner, les uns et les autres.

Nous devons aussi mesurer l'investissement sociétal de beaucoup de nos anciens, de ceux qui le peuvent encore, dans une foule d'activités bénévoles qui font vivre la démocratie, la convivialité, la recherche et les arts.
Si bon nombre de nos aînés sont par bonheur en bonne condition physique, je souhaiterais témoigner pour de nombreux autres qui ne trouvent pas amusant de vieillir. Avec une pudeur qui force le respect, beaucoup s'en trouvent soulagés de pouvoir raconter leur réalité, à la fois unique et si commune. Ils prêtent aussi une oreille très attentive à la nôtre. Le temps offert, le lien téléphonique régulier sont autant de signes qui déchirent le sentiment de solitude qui les accompagne.

Il faut rappeler que, de tout temps, les enfants et les vieillards sont confiés aux bons soins des actifs. Nos aînés ont droit à un repos et à des loisirs bien mérités, à notre respect et notre attention affectueuse. Ce sont aux actifs et aux instances politiques de prévoir les plus judicieuses structures pour que tout le monde s'en trouve réconforté. Les structures d'accueil, les soins à domicile se sont enfin mis en place, fournissent déjà un travail remarquable. Pourtant, il reste encore beaucoup à réaliser, cette génération ayant été éduquée à en demander le moins possible. La situation va changer: les structures existantes vont devoir s'y préparer, des nouvelles vont devoir se construire, tout le monde va devoir s'habituer à l'arrivée d'une nouvelle génération d'anciens, férus d'informatiques et sensiblement plus exigeants.


En ce temps-là, la vieillesse était une dignité;
aujourd'hui, elle est une charge.
Chateaubriand
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