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Décembre 2009
Un point de vue sur la créativite dans le domaine de l’art
Auteur : Henri Miserez, artiste peintre


Après une brève expérimentation personnelle et collective dans les domaines de la musique, de la danse, de la voix et de la peinture, après en avoir débattu avec des créateurs bien plus expérimentés que moi, après avoir consulté quelques ouvrages sur le sujet, j'ai la certitude que la créativité se trouve uniquement dans le moment présent, seul « endroit » où la Beauté peut me contacter.

Les trois portes d'accès à cet endroit sont la présence, le silence et l'acceptation.

  1. La présence à son corps
    Ce que l'on nomme «l'inspiration», cet appel des profondeurs, cette motivation (littéralement, cette mise en mouvement), provient d'une exultation de toutes les cellules de mon corps. Dans ces moments-là, j'ai la sensation d'être animé de l'intérieur, même si l'appel est perçu ou provoqué à l'extérieur; et lorsque j'y adhère pleinement, il n'y a plus ni barrières ni frontières qui ne puissent être franchies: je n'ai pas le temps, je suis fatigué, je n'ai pas le matériel adéquat, je suis engagé ailleurs, etc.
  2. Le silence intérieur
    Pour arriver à cet état, il est indispensable d'être à l'écoute, de faire taire le bruit du mental qui relaie les suggestions de l'ego. «La Beauté, c'est l'extinction totale du moi» a dit Krishnamurti. Sans un minimum de silence, le processus créateur ne peut se faire «entendre», d'où l'importance d'une pratique continue de ressourcement et d'une orientation de vie libératrice.
  3. L'acceptation
    C'est à ce moment que prend place l'acceptation – ou obéissance – à ce que je perçois; alors, ce qui émane du tréfonds, l'inspiration, peut se concrétiser et s'exprimer sous sa forme la plus authentique… et non pour faire joli, pour correspondre à des canons de beauté fixés par la société ni pour obéir aux désirs de l'ego. Et parfois, c'est très surprenant!

Selon mon humeur et ma tournure d'esprit, selon les circonstances et mon ouverture, les trois phases de ce processus peuvent avoir lieu ou non, se dérouler simultanément ou successivement, que je sois dans ou hors de mon atelier; mais lorsque je suis face à la toile, il est nécessaire de les réunir tous les trois si je souhaite sincèrement être créateur de Beauté.

Le processus créateur

Il consiste à tenter d'exprimer la rencontre de la Beauté, d'en donner un reflet, un éclairage, un aperçu. Quand je deviens le canal, le medium de cette Beauté, cela me permet d'en saisir quelques bribes. Je n'y parviens que si mon ego s'efface, au moins momentanément. Et s'il s'efface, je me trouve dans le moment présent. et instant me procure une Joie ineffable qui, si je ne cherche pas à la récupérer en plaisir, est le moteur du  processus créateur.

A partir de cette découverte, selon le chemin de vie qui m'est proposé, j'utilise toutes mes capacités pour tenter non seulement de retrouver cet état «joyeux», mais aussi de le transmettre, fonction essentielle de l'art. ne création émanant de l'Amour-Beauté révèle l'illusion de ce monde; même si elle s'appuie sur lui, elle le dépasse, le transcende car les valeurs éternelles n'y ont pas cours. «L'expérience humaine est une illusion d'optique de la conscience» (Albert Einstein).

Lorsque je fais des confitures – ou pratique ce genre d'activités – je ne me sens pas «créateur» car, pour qu'il y ait Création, il est nécessaire que je descende en moi pour écarter les obstacles et laisser pénétrer la Lumière. C'est seulement à partir de ce lieu que je puis contacter des fragments de Beauté et tenter de les ramener à la surface dans une expression adéquate. J'ai la sensation de me transformer en instrument de «quelque chose» qui me dépasse et qui n'est pas de l'ordre de la recette, ni du fantasme, ni de l'émotion brute. Lorsque je crée, je mets consciemment de l'ordre: 2% d'état de grâce et 98% de travail!  Pour ce faire, il me suffit de savoir puis, surtout, d'expérimenter longuement les trois phases suivantes:

  1. Je reconnais le potentiel de créativité qui m'habite et qui habite toute créature.
  2. Je l'accepte.
  3. Je le réalise exclusivement au service de l'Amour-Beauté.

 Le moteur de ce processus se nomme la Vie.

Voici un exemple très concret de ce processus que j'ai vécu lors d'une séance préparatoire à la création d'une chorégraphie:

  1. Le groupe s'est formé en couples pour pratiquer un massage à tour de rôle: il s'ensuit une relaxation qui calme le jeu (le Je) et me met en confiance par rapport à mon corps et à celui de mon partenaire. Je vis une relation «autrement»: par le toucher et en silence.

  2. En m'appuyant sur mon partenaire, j'exécute des exercices d'ancrage et d'équilibre qui auraient été impossibles sans son aide: prise de conscience physique que je suis connecté à l'autre.

  3. Dans un travail individuel basé sur la musique, je touche une part émotionnelle enfouie en moi. Je la laisse monter à la conscience en veillant à ce qu'elle ne me submerge pas afin de pouvoir l'exprimer en mouvements. En l'occurrence, il s'agit de me libérer d'une vague de tristesse. Je laisse naître, à travers mon corps, une autre forme d'expression que les pleurs ou les sanglots : une danse émerge du tréfonds.

  4. L'animateur nous propose une suite de mouvements, base d'une future chorégraphie. Je me rends compte que, cette fois, je dois imiter un «maître» et je constate toutes sortes de résistances de l'ego: peur de ne pas savoir, de ne pas pouvoir mémoriser; révolte, doute, méfiance, contrôle, perfectionnisme, comparaisons avec mes collègues (compétition), etc. Jusqu'au moment où je lâche prise et ainsi m'ouvre à l'acceptation totale de l'exercice. Alors, je parviens à entrer dans la discipline et le travail: écoute et respect des consignes; joie de la répétition des mouvements pour les inscrire dans mon corps; accueil de mes limites et de mes erreurs.

  5. A partir de l'acquisition de cette suite de mouvements, encouragé par l'animateur, je ressens et développe le besoin de m'ouvrir à plus de liberté en contactant «le tout autre», l'inconnu en moi.
    Pour y parvenir, il m'est nécessaire maintenant de me libérer du regard des autres et surtout de celui du «maître extérieur» pour trouver mon «guide intérieur». C'est ainsi que je crée véritablement ma chorégraphie.

  6. Reste encore – et ce n'est pas facile de passer par-dessus le jugement que je porte sur moi et que je projette sur les autres – reste donc encore à danser seul devant le groupe, à partager humblement mes découvertes: quelques reflets de la Beauté qui m'habite. Joie du don et de l'accueil.

J'ai pu expérimenter quelques fois les mêmes principes de créativité avec la peinture, la voix et l'improvisation musicale.

En guise de conclusion, voici comment Charles Juliet, écrivain et amateur d'art, se connecte à sa source créatrice:

Inverser mon regard et le plonger en moi-même…
Sans fin me parcourir, m'explorer,
chercher à découvrir ce que recèle ma nuit…
Ecouter la voix…
Obéir à une instance qui exige
que je me dégage de mes particularités,
gagne en moi un espace plus vaste,
où règne une claire lumière,
où j'échappe à la peur et à l'angoisse,
suis accordé à moi-même,
ai la sensation de me confondre
avec cette vie à l'intérieur de la vie
qui n'a rien à redouter
ni du temps ni de la mort.

Ces processus, indissociables, n'en forment en réalité qu'un seul, et c'est ce processus qui est à l'œuvre dans l'écriture [et les autres formes de création].

L'être intérieur est cette forêt dans laquelle on ne s'aventure au début qu'avec une angoisse extrême.

Nombreuses et toujours renaissantes sont les peurs qu'il faut surmonter pour se risquer à pénétrer dans la ténébreuse et redoutable forêt intérieure. Et rude est le combat. Cent fois on doute, on se décourage, on rebrousse chemin. Mais à chaque fois, le besoin de repartir est le plus fort.

Ainsi a-t-on déjà effectué un certain parcours, connu la joie de faire des découvertes imprévues n'ayant que peu de rapport avec ce qui avait été désiré ou entrevu. Progressivement, on comprend qu'il n'est rien dans cette forêt qui doive nous effrayer. Qu'au contraire, elle a à nous offrir maintes beautés insoupçonnées qui changeront le regard que nous posons sur nous-même et sur la vie.

Un jour, alors qu'on n'avait plus espoir de la retrouver, la source est là, au bord du sentier. La voix parle clair. La semi-obscurité a fait la place au jour. L'être sait de toute certitude qu'il a vaincu la peur. Qu'il n'a plus à chercher. Qu'à l'avenir il lui faudra simplement se montrer vigilant, demeurer lucide, ne plus s'écarter de ce point d'eau dont il reçoit la vie. Pourtant, contre toute attente, trahissant le meilleur, oubliant sa soif, il ne pourra éviter de s'éloigner, s'égarer, perdre de vue ce qu'à l'intime de sa recherche il nomme la merveille.

Mais il ne saurait oublier qu'il a pu une fois étancher sa soif. Faire halte en un lieu de lumière, de consentement et de paix. Et pour le retrouver, il se met à nouveau en chemin. («Trouver la source», Ed. Paroles d'Aube, p. 56).

 



à ce sujet, lire le petit ouvrage «Se libérer du connu». Les ouvrages d'Eckhart TOLLE sont aussi très instructifs en ce qui concerne le moment présent.

 « Beauté » et « Création » sont des notions qui dépassent toutes définitions… définitives; heureusement !



« L'émotion créatrice est la seule et véritable connaissance ».

André Suarès

 

 

 

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